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sans déshonneur. D’ailleurs, à quoi servirait cette reculade déshonorante ? L’Empereur ne cherchait qu’un prétexte de guerre ; celui-ci écarté, il en ferait surgir un autre. Strat démontra que le prince se trompait sur les intentions de Napoléon III ; ces arrière-pensées de guerre n’existaient pas, et le désir d’un arrangement pacifique était sérieux et sincère. Puis, sans se perdre en sentimentalités inutiles sur les malheurs de la guerre et la terrible responsabilité de celui qui en est cause, il alla droit aux argumens pratiques. Il peignit, sous les plus sombres couleurs, la situation dans laquelle le prince Léopold allait se précipiter ; il aurait à se débattre contre les complots des Alphonsistes el des Carlistes favorisés par la France, contre les intrigues des compétiteurs évincés et surtout de Montpensier, contre les révoltes républicaines : à l’annonce de sa candidature, il y avait eu une immense majorité en sa faveur dans les Cortès, mais, chaque jour, sous l’action de la crainte ou de la haine, cette majorité s’affaiblissait, et le mieux qui pût survenir était qu’elle restât suffisante pour imposer le devoir d’arriver et insuffisante pour assurer la force de se maintenir. Il n’aurait probablement pas le temps de s’asseoir sur ce trône aux pieds boiteux ; il serait culbuté en y montant ; bien heureux s’il se tirait de l’aventure la vie sauve ; on l’appelait à une catastrophe, non à un règne. Strat attira ensuite l’attention du prince sur la situation en Roumanie de son fils Charles objet de sa sollicitude : une conspiration redoutable était ourdie contre lui : les fils en étaient à Paris ; il dépendait de l’Empereur de les couper ou de les faire mouvoir ; il les couperait si Léopold renonçait ; il les ferait mouvoir s’il s’obstinait ; était-il sage de compromettre un trône assuré pour conquérir un trône problématique ?

Nonobstant ces considérations, le prince ne se laissa pas fléchir. Mais la mère assistait à ces entretiens poignans : elle fut troublée, émue, terrifiée, convaincue. Alors, entraînée par sa double inquiétude maternelle, elle vint en aide à Strat, et elle s’employa à vaincre la résistance de son mari. Malgré ses larmes, elle n’y réussit pas pendant deux jours, et le prince répondit à la première lettre interrogative venue d’Ems qu’il était prêt à obéir, mais que volontairement il ne retirerait pas la candidature de son fils. La mère ne se laissa pas décourager. Le troisième jour enfin (11 juillet), elle l’emporta, et le père fit taire le Prussien et l’ambitieux. « Cette résolution, m’a répété plusieurs fois