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passion pour l’imaginer fortement et pour l’exprimer avec vérité, mais assez libre pour s’en détacher à propos et la bien juger à distance. Etranger aux haines et aux violences des partis, il dut vivre dans l’Athènes où Démétrius de Phalère régnait au nom du Macédonien Cassandre, non pas en débauché, comme il est représenté chez Phèdre dans quelques vers sans autorité, mais en homme qui arrangeait commodément son existence, riche, un peu indolent en dehors des heures qu’il donnait à la poésie, enclin au plaisir, mais sachant toutefois y garder l’activité de son esprit, qui fut très grande, et l’élégance naturelle de son goût. Son œuvre atteste l’intérêt qu’il ne cessa de prendre au spectacle de la vie : il écrivit une centaine de comédies en trente ans environ. On ne s’attache pas ainsi à la reproduire en des images multiples sans s’y complaire très vivement. Il l’aimait, comme tous les vrais observateurs, sous tous ses aspects et dans son infinie variété[1]. Qu’il mette en scène des paysans, des esclaves, des gens du peuple, des courtisanes, des campagnards, ou, au contraire, de riches personnages, comme son Gorgias dans le Laboureur, tout est pris sur le vif et traité avec un sentiment du vrai qui est frappant. On sent, au plaisir qu’il nous donne, celui qu’il a dû éprouver lui-même à regarder ses contemporains, quels qu’ils fussent, et quelle vive impression devait faire sur lui chaque trait de leurs mœurs, à mesure qu’ils lui passaient devant les yeux. Son observation était d’ailleurs rapide et son travail extrêmement facile : le nombre même de ses pièces en est le meilleur témoignage. Une sensibilité, plus fine que profonde, corrigeait heureusement ce que cette observation discursive aurait pu avoir d’un peu sec. Egalement éloigné de l’optimisme naïf et d’un pessimisme amer, il semble avoir été de ceux qui, sans se faire illusion sur l’humanité, restent cependant pénétrés d’une sympathie très largement humaine. Et ce qui accentue encore ce trait de sa nature, c’est la prédilection que nous révèle son théâtre pour la jeunesse et pour l’amour. Il est vrai que, mort à cinquante-deux ans, il échappa plus aisément au danger du désenchantement final. Mais nous n’avons pas à deviner, par une sorte de prévision rétrospective, ce qu’il aurait pu devenir s’il eût vieilli. Nous ne pouvons le juger que sous le bénéfice de sa destinée.

La vie qu’on menait alors dans Athènes était calme, en

  1. Quintilien, pass. cité : Omnem vitae imaginem expressit.