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mesurées, comme cela se voyait si souvent dans la tragédie. Ici, rien ne semble déterminé à l’avance. Tout dépend de celui qui parle, comme dans la vie ordinaire. Mais cette liberté, le poète ne la livre pas au hasard. Bien qu’il n’use dans le dialogue que de deux sortes de vers appropriés à l’excitation plus ou moins vive des sentimens, chaque scène n’en est pas moins assujettie à un plan qui comporte bien des différences entre les parties. Quelques morceaux de la Samienne, tels que l’interrogatoire de Parménon, l’expulsion de Chrysis, l’explication entre Déméas et Nikératos, nous montrent avec quel art Ménandre a su, dans un entretien entre deux personnages, créer des péripéties, pousser la passion au paroxysme ou l’apaiser, précipiter ou ralentir le mouvement, donner libre carrière à la violence ou la faire tourner court ingénieusement.

Les discussions en forme tiennent dans son théâtre une place importante. Elles s’étaient fait admettre dans le drame grec, tragique ou comique, dès le temps des débuts de Sophocle et de Cratinos. Le conflit des argumens contraires était une des joies du public athénien. En cela encore, Euripide fut le maître de Ménandre ; mais, comme toujours aussi, le disciple sut se distinguer du maître et renouveler son art en l’imitant. Quintilien recommandait aux futurs avocats d’étudier les discours d’argumentation, véritables plaidoyers, qui n’étaient pas rares dans ses comédies. Il aurait bien fait peut-être de les prévenir en même temps que ce n’étaient pas des discours d’avocats. Car le mérite original de Ménandre, en ce genre, c’est d’avoir su éviter de paraître raisonner en son propre nom par la bouche de ses personnages. Le hasard nous a rendu précisément une de ces scènes en son entier, et sans doute une des meilleures. Nous avons, dans l’Arbitrage, deux plaidoyers contradictoires, prononcés devant un arbitre par deux esclaves rustiques, l’un pâtre, l’autre charbonnier. Ceux-ci se disputent à propos d’un petit enfant abandonné, que le pâtre a recueilli d’abord, puis cédé au charbonnier, mais en retenant par devers lui quelques menus objets trouvés au même lieu. La scène est aujourd’hui bien connue. L’idée, comme on l’a vu plus haut, en est empruntée directement à une tragédie d’Euripide, malheureusement perdue. La comparaison du modèle et de l’imitation n’est donc plus possible. Malgré cela, l’originalité de Ménandre ne semble pas pouvoir être mise sérieusement en doute. Outre que le ton général est