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sœur de Sainte-Euphémie éprouva de la répugnance à signer le formulaire. Elle avait encore dans l’oreille les héroïques exhortations, les « paroles de feu » de la mère Angélique qui, tout infirme et mourante qu’elle fût, était, au premier bruit de la persécution, rentrée à Paris pour soutenir le courage de ses filles : « Quoi ! disait la vieille religieuse, je crois que l’on pleure ici ? Allez ! mes enfans, qu’est-ce que cela ? N’avez-vous point de foi ? et de quoi vous étonnez-vous ? Quoi ! les hommes se remuent ; eh bien ! ce sont des mouches qui volent et qui font un peu de bruit. Vous espérez en Dieu, et vous craignez quelque chose ! Croyez-moi, ne craignons que lui, et tout ira bien. » Voyant que les habiles du parti faisaient peu de cas de leurs scrupules, Jacqueline voulut libérer son âme. Le 22 juin 1661, « après avoir communié dans une grande amertume de cœur, » « tandis qu’elle faisait son action de grâces, ou plutôt qu’elle gémissait devant Dieu, il lui vint une forte pensée d’écrire toutes ses pensées, sur ce sujet, ou plutôt les principales, » et, s’adressant à la sœur Angélique de Saint-Jean, la fille d’Arnauld d’Andilly, sous-prieure à Port-Royal de Paris, elle écrivit une très belle lettre, la plus éloquente, la plus âprement passionnée, la plus cornélienne de toutes celles qui nous ont été conservées de l’admirable fille. Le lendemain, elle l’envoya à Arnauld, avec un billet où elle trouvait le moyen d’approuver avec « une joie incroyable » la conduite de son frère et la solution qu’il avait imaginée, et en même temps où elle revendiquait pour elle-même le droit et le devoir de faire plus : « Il me semble, mon père, que ce qui est assez pour les uns, serait un horrible défaut aux autres. A la bonne heure que les choses soient de cette sorte, pourvu que l’on permette à ceux qui en auront le courage d’aller plus avant, et que l’on ne prétende pas que nous nous sauverons en voilant la vérité. » Et elle ajoutait, comme si elle sentait la fragilité de son être intime : « Ne croyez pas, je vous en supplie, quelque forte que je paraisse, que la nature n’appréhende beaucoup toutes les suites ; mais j’espère que la grâce me soutiendra, et il est vrai qu’il me semble quasi que je la sens. »

Et elle disait à la sœur Angélique de Saint-Jean :


Il n’y a que la vérité qui délivre véritablement, et il est sans doute qu’elle ne délivre que ceux qui la mettent elle-même en liberté en la confessant avec tant de fidélité qu’ils méritent d’être confessés eux-mêmes et reconnus pour de vrais enfans de Dieu.