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d’une importance. Elle s’est donnée comme on se prête. Son inconscience est sa seule excuse, mais, vaille que vaille, c’en est une. Sans doute, en un autre temps, Clarisse n’eût pas refusé à l’aimable étourdie une indulgence qu’elle pouvait lui décerner du haut de sa propre vertu ; mais elle se montre cette fois un peu plus sévère, soit qu’elle ait été gagnée aux raisonnemens farouches de son intransigeant de mari, soit que son inclination secrète pour Pavail lui rende plus inexcusable une faute dont celui-ci a bénéficié.

Tel est le premier acte qui pose les personnages dans leur attitude habituelle et les montre dans le caractère où ils semblent installés une fois pour toutes. Les voilà tels que les aperçoivent ceux qui vivent dans leur familiarité, et qui les reconnaissent au langage, au son de voix, à l’air de la physionomie, à ces mille détails imperceptibles dont se compose l’individualité de chacun de nous. L’événement ne s’est pas encore produit qui va tout bouleverser. Ou plutôt ils ne s’en sont pas encore avisés. Car nous sommes, pour notre part, assez peu disposés à accepter l’exactitude de faits auxquels ils ont si légèrement ajouté foi. Notre perspicacité, ou, pour mieux dire, l’habileté de l’auteur nous avertit que tous ces gens sont dans l’erreur. Nous allons, au second acte, l’apprendre de la bouche de Pavail. Celui-ci, aux rudes admonestations du général n’a rien répondu, et il a, sans protester, accepté de demander lui-même son renvoi dans un régiment colonial. Mais il dira tout à Clarisse, ne pouvant se résoudre à être calomnié auprès d’elle. Ce n’est pas lui qui est le coupable ; ce n’est pas lui qui est l’amant d’Anna Doncières : c’est Jean de Sibéran, le fils du général, né d’un premier mariage. Pavail s’est borné à prêter son appartement aux amoureux. C’est un service qui, paraît-il, ne se refuse pas ; d’ailleurs il a pour Jean de Sibéran une amitié aveugle, et qui ne discute pas. Mais lui, comment aurait-il courtisé Anna, puisque son cœur est tout rempli par l’amour d’une autre femme, ou plutôt puisqu’il n’y a pour lui qu’une femme au monde, et c’est Clarisse. Elle pourtant, Clarisse, le laisse parler ; elle ne se défend pas d’avouer qu’elle-même n’est pas insensible à son amour ; [c’est la découverte qu’elle vient de faire ; et, en tout autre temps, elle aurait su garder le silence ; mais puisque le jeune homme est à la veille de s’éloigner, le moyen de cacher entièrement ce tendre secret à celui qui va partir ?

C’est ici le tournant de la comédie. Elle va maintenant changer de direction. Le général que nous avons vu jusqu’à présent si tranquille, ou si imperturbable, va recevoir un premier choc. Il apprendra la vérité et que tous les anathèmes, qu’il a si libéralement fulminés à