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pas pousser à bout les Américains, restait désarmé en face d’un mouvement conduit par les guildes et devenu populaire. A Canton, les proclamations du gouvernement furent lacérées ; nulle part, sauf dans quelques ports du Nord, elles ne suffirent à apaiser les esprits.

L’action des diplomaties européennes fut moins utile encore ; à Chang-Haï, le corps consulaire prit l’initiative d’une protestation auprès du tao-taï ; à Pékin, le ministre d’Allemagne proposa à ses collègues une intervention collective, fondée sur l’article 14 du traité franco-chinois de Tien-Tsin, dont les dispositions ont été reproduites dans tous les traités entre la Chine et l’Europe. Mais comment intervenir dans une affaire qui résulte, non pas d’un acte du gouvernement chinois, mais de décisions prises par des associations commerciales sur qui le gouvernement, et à plus forte raison les étrangers, n’ont aucune prise ? Le corps diplomatique s’abstint sagement d’une démarche qui ne pouvait aboutir qu’à de vaines paroles. Le boycottage suivit donc son cours, rigoureux dans quelques villes, plus relâché dans d’autres, mais dans l’ensemble dangereusement efficace ; le commerce américain subit des pertes considérables que l’on évalue à plus de cent millions de francs[1], et le président Roosevelt dut amender les règlemens sur l’immigration des Chinois.

Les plus chaleureux encouragemens au nationalisme chinois étaient venus, durant toute cette crise, de la presse et de l’opinion japonaise ; le commerce nippon espérait recueillir les bénéfices du boycottage et supplanter ses concurrens américains. Un diplomate européen pouvait écrire à son ministre : « Ces manifestations sont, sinon provoquées, du moins certainement organisées par les Japonais : is fecit cui prodest. » Les journaux prônaient le boycottage et avertissaient les Européens que le temps était passé où les peuples asiatiques subissaient sans protester les humiliations étrangères.


Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s’engeigne soi-même.


L’incident du Tatsu-Maru allait bientôt prouver aux Japonais la vérité du vieux dicton.

  1. Ventes américaines en Chine pendant les sept premiers mois de :
    1905 185 908 100 francs
    1906 103 060 955 —
    Différence en moins 82 845 145 —