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le très grand tort de massacrer de temps en temps ses sujets ; mais beaucoup de ces sujets, livrés à eux-mêmes, ont une tendance à massacrer les étrangers et les chrétiens. Le sang coule sur plusieurs points de l’Asie Mineure ; les Puissances ont été obligées d’envoyer des vaisseaux pour surveiller les événemens, ou pour y pourvoir. Tout le monde arabe est en effervescence. Des craquemens sinistres se font entendre. Les questions les plus redoutables se posent sur tous les points à la fois, sans qu’on aperçoive distinctement l’autorité morale, ou, à son défaut, la force matérielle propre à les résoudre. Les meilleurs amis de la Turquie, dont nous sommes, ceux qui la regardent comme nécessaire à l’équilibre et par conséquent à la paix du monde, ne sont pas sans appréhensions pour elle ; ils lui doivent des avertissemens sérieux. Un vieux proverbe dit qu’on ne supprime définitivement que ce qu’on remplace. Quelque odieux qu’ait été à l’intérieur le régime hamidien, il faudrait le remplacer par autre chose que celui des pronunciamientos. La révolution de juillet dernier a été belle comme une féerie, comme un songe enchanté que le réveil dissipe ; les secousses brutales du mois qui s’achève ont été sombres et sanglantes ; c’est à elles qu’ont conduit les enivrantes, mais peut-être naïves espérances d’il y a dix mois ? Les Jeunes-Turcs sont trop intelligens pour que ces réflexions ne se présentent pas à leur esprit comme au nôtre. Ils ont pris une immense responsabilité envers leur pays, envers l’Europe, envers l’histoire. Ils l’ont fait généreusement en juillet 1908, courageusement en avril 1909. Les voilà définitivement les maîtres, et nous les en félicitons. Mais, pour emprunter un mot à l’éloquent tribun dont les fêtes de Nice viennent une fois de plus de faire retentir le nom sonore, si l’ère des périls est passée pour eux, celle des difficultés commence : nous leur souhaitons d’être à la hauteur de ces difficultés.


P. -S. — Au dernier moment, les nouvelles de Constantinople annoncent la déposition d’Abdul-Hamid et la proclamation de son frère, Rechad Effendi, sous le nom de Mohamet V. Cette solution n’étonnera pas les lecteurs de notre chronique, dans laquelle ; nous n’aurions, si le temps nous permettait de le faire, que peu de chose à modifier.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.