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Kœnigsberg et autres villes exprimant une forte désapprobation de l’attitude conciliatrice prise par le Roi et demandant que l’honneur du pays fût sauvegardé. L’ambassadeur anglais, habitué à ses façons, devina ce qu’il méditait : « Si quelque conseil opportun, quelque main amie n’intervient pas pour apaiser l’irritation qui existe entre les deux gouvernemens, la brèche, au lieu d’être fermée par la solution de la difficulté espagnole, ne fera probablement que s’élargir. Il est évident pour moi que le comte Bismarck et le ministère prussien regrettent l’attitude du Roi et ses dispositions à l’égard du comte Benedetti, et que, par égard à l’opinion publique allemande, ils sentent la nécessité de quelque mesure décisive pour sauvegarder l’honneur de la nation. »

Quelle serait cette mesure décisive ? Tantôt Bismarck pensait à demander des explications sur nos prétendus arméniens, tantôt il voulait quelque garantie donnée par la France aux puissances, reconnaissant que la solution actuelle de la question espagnole répondait d’une manière satisfaisante à nos demandes et qu’aucune réclamation ne serait soulevée plus tard. « Il nous faut savoir, disait-il, si, la difficulté espagnole écartée, il n’existe pas encore quelque dessein mystérieux qui puisse éclater sur nous comme un coup de tonnerre. » Enfin il s’arrêta à l’idée de nous adresser une sommation directe à laquelle nous fussions obligés, sous peine d’être déshonorés, de répondre par un cartel, car il lui importait plus que jamais de rejeter sur nous l’initiative diplomatique de la rupture. Il nous eût sommés de rétracter ou d’expliquer le langage de Gramont à la tribune, en y dénonçant « une menace et un affront à la nation et au Roi. » Il ne pouvait plus « entretenir de rapports avec l’ambassadeur de France, après le langage tenu à la Prusse par le ministre des Affaires étrangères de la France à la face de l’Europe. » Ces dispositions agressives ne se manifestèrent pas seulement par des propos. La presse allemande à un signe de lui élevait ou abaissait la voix. Il avait maintenu dans un calme railleur, presque indifférent, les journaux connus pour avoir un caractère officieux, tant qu’il avait compté que nous ne nous débarrasserions pas du Hohenzollern et que nous serions contraints de nous poser en assaillans ; lorsqu’il eut été déjoué, il déchaîna la presse et la rendit insultante. Lui-même lança, dans la Correspondance provinciale, publication tout à fait officielle, un article menaçant ; il se plaignait, comme nous étions seuls recevables à le faire, des traces regrettables