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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/346

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Nous oublions trop, lorsque nous nous fâchons contre les Levantins, que ce sont des natures beaucoup plus rudes que les nôtres, plus combatives aussi, souvent exaspérées ou rendues insensibles par de longues humiliations et, en définitive, incapables de s’apercevoir des petits froissemens qu’ils nous infligent. Cela ne les empêche pas d’ailleurs de se montrer extrêmement susceptibles, dès que c’est leur amour-propre à eux qui est en jeu.

Ils soupçonnent des sous-entendus désobligeans dans nos moindres mots et jusque dans nos silences ; ils voient de l’ironie partout, et, comme ils ont conscience de leurs tares, ils s’efforcent de les déguiser, de les refouler tout au fond d’eux-mêmes et de ne nous présenter qu’une surface parfaitement lisse et impénétrable. De là une hypocrisie très spéciale, une fausse pudeur qui ressemble au snobisme ou au respect humain de nos parvenus. Ils se croient obligés de nous cacher tout ce qui rappelle leurs origines ou leurs anciennes mœurs, dont ils ont la faiblesse de rougir devant nous. Ce qui n’est pour nous que de la couleur locale, est pour eux de la barbarie, qu’il importe de dérober soigneusement aux regards du civilisé. C’est pourquoi il est si difficile de les interroger sur eux-mêmes. Outre les habitudes de discrétion que des siècles d’absolutisme leur ont imposées, la peur de trahir quelque chose d’incongru, au jugement d’un Européen, leur ferme la bouche.

D’autres fois, au contraire, une sorte de fanfaronnade les emporte : ils laissent éclater orgueilleusement au dehors leur conviction intime de nous être fort supérieurs. Ils se piquent d’être plus malins que nous, au moins pour l’intrigue et pour le négoce. Mais surtout ils écrasent nos civilisations modernes sous les civilisations du passé dont ils se réclament comme les légitimes héritiers. Qu’était-ce que les Francs à l’époque de Thémistocle, du roi Salomon, ou du roi Sésostris ? Des sauvages perdus dans leurs forêts et leurs marécages ! Quand on peut compter ses ascendans depuis la création du monde, on ne saurait avoir que de la pitié pour les nouvelles couches des aristocraties occidentales qui dépassent à peine le dernier millénaire. Cette fierté nobiliaire, elle perce jusque dans les propos des gens du peuple. Lorsque je visitai la Vallée des rois, j’avais pour drogman un jeune Copte, éduqué à l’école primaire des Franciscains. L’aplomb de ce gaillard était étourdissant. Au