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évoqué jadis par le comte Tolstoï dans sa Mort d’Ivan Ilitch, si l’on s’en tenait au point de vue proprement littéraire. Et des qualités semblables se retrouvent encore dans une œuvre récente de M. Andréief, l’Histoire des Sept Pendus, dont il faut que je dise au moins quelques mots.

Cette histoire des Sept Pendus n’est, en somme, rien de plus que ce qu’annonce son titre : la description de la manière dont sept condamnés à mort se préparent à subir le supplice de la pendaison. Cinq d’entre eux, trois hommes et deux jeunes filles, ont été condamnés pour avoir participé à un attentat révolutionnaire : les deux derniers, l’Esthonien Janson et le Tatare Michka, sont des criminels de droit commun. L’auteur se borne à esquisser brièvement les portraits de ses héros, avant de nous laisser, tour à tour, en tête à tête avec chacun d’eux, durant les courtes heures, qui séparent le jugement de l’exécution ; et les derniers chapitres nous les font voir réunis, conduits ensemble vers un bois voisin de la ville, où doit avoir lieu leur exécution. Au sortir du wagon, — car une partie de ce voyage s’est faite en chemin de fer, — les gendarmes leur commandent de se partager en groupes de deux, chaque groupe devant aller tour à tour jusqu’à la clairière où sont dressées les potences.


Werner (un jeune officier dont on n’a pu découvrir le véritable nom) désigna l’Esthonien Janson, que deux gendarmes tenaient par les bras pour l’empêcher de s’aplatir à terre :

— Je vais avec celui-ci ! Et toi, Serge, avec Basile (un autre des révolutionnaires) !

— Et nous deux, Mussia, nous allons ensemble, n’est-ce pas ? — demanda Tania à son amie. — Mais, d’abord, embrassons-nous tous !

Ils s’embrassèrent. Les baisers du Tatare Michka étaient vifs et fermes, au point que l’on sentait ses dents ; ceux de Janson étrangement mous, la bouche à demi ouverte. L’Esthonien, du reste, semblait ne plus comprendre du tout ce qu’on faisait de lui.

Serge et Basile partirent les premiers. Un silence régna. Les petites lanternes, derrière les arbres, brûlaient, immobiles. On attendait un cri, un bruit quelconque, du côté de la clairière : mais tout était aussi calme de ce côté que des autres, et l’on voyait seulement luire les flammes jaunes des lanternes.

— Ah ! mon Dieu ! gémit quelqu’un, tout près.

Les autres se retournèrent : c’était le brigand Michka, qui s’agitait dans l’angoisse de la mort.

— On les pend ! on les pend ! murmurait-il.

Les autres se détournèrent, et, de nouveau, tout se tut. Mais bientôt Michka, s’étant ressaisi, s’adressa aux deux groupes :

— Comment cela, mes seigneurs ? On me laisse tout seul ? Hein, mes seigneurs ?