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III

La Chambre était au complet ; les tribunes regorgeaient ; tous les ambassadeurs étaient présens. Au milieu d’un silence imposant, je lus notre Déclaration. Les dernières phrases furent couvertes par les bravos, les applaudissemens répétés, et les cris de : « Vive la France ! vive l’Empereur ! » Puis éclatèrent les cris : « Aux voix ! aux voix ! » Ernest Picard s’opposa à l’urgence que nous réclamions ; il ne put se faire entendre. On procéda immédiatement au vote. Les députés, en très grande majorité, étaient tellement excités qu’à la contre-épreuve, quelques membres de la Gauche s’étant levés, ils se retournèrent vers eux, les montrant du doigt et criant : « Levez-vous donc ! levez-vous donc ! Ils ne sont que seize ! Ce sont des Prussiens ! »

L’urgence votée, Thiers prit la parole de sa place. Je ne donne ici ni son discours, ni ma réplique. Les deux discours figurent au Journal officiel, ainsi que les innombrables interruptions qui coupèrent l’un et l’autre. Il eût été facile de me montrer agressif contre Thiers, et j’aurais soulevé les acclamations de l’assemblée. Je n’en voulus rien faire et je restai d’autant plus modéré que j’étais plus ardemment sollicité de ne l’être pas. J’avais fait tous mes efforts, pendant qu’il parlait, pour calmer l’assemblée et obtenir le silence ; n’ayant rien à cacher, j’avais le plus sincère désir de provoquer une discussion approfondie et de faire le jour sur les moindres détails de la négociation. Je sentais qu’en rendant la discussion difficile à Thiers, on me l’interdisait virtuellement. Aussi, loin de profiter de l’émotion de l’assemblée, que d’un mot provocateur j’aurais pu entraîner aux résolutions les plus précipitées, je protestai contre les manifestations que je n’avais pu empêcher. Je ne me départis pas un instant de cette mesure. « Nous aussi, continuai-je, nous avons le sentiment de notre devoir, nous aussi nous savons que cette journée est grave et que chacun de ceux qui ont contribué à la décision qui va être adoptée, contractent devant leur pays et devant l’histoire une grave responsabilité. Nous aussi, pendant les six heures de délibération que nous avons eues hier, nous avons constamment pensé à ce qu’il y avait d’amer, de douloureux à donner dans notre siècle le signal d’une rencontre sanglante entre deux grands Etats civilisés. Nous aussi,