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lui revenir : « Un seul mouvement vers Dieu, le dernier soupir exhalé vers lui suffit à sa miséricorde ; ce qui est imperceptible aux hommes, il le voit et s’en contente. »

A vingt-neuf ans, Mme de Lacan se trouvait donc veuve et libre. Son passage dans le monde avait été trop brillant pour qu’elle demeurât longtemps isolée. Elle fut recherchée en mariage par un fort galant homme, le baron Cottu, conseiller à la Cour royale de Paris, qui sut toucher son cœur. Elle agréa cette recherche et leur union allait être conclue, lorsque la famille du baron Cottu y fit opposition, obéissant, à ce qu’il semble, à des motifs assez mesquins. Le baron Cottu était riche. Mme de Lacan n’avait que peu de fortune. La famille du baron Cottu l’accusa d’avoir, en agréant cette recherche, poursuivi des vues intéressées. Indignée de cette calomnie, Mme de Lacan rompit son engagement et, se laissant aller à un de ces mouvemens impétueux auxquels elle était sujette, elle forma le projet de rompre avec le monde et de se réfugier dans une maison religieuse où elle mènerait désormais une vie de retraite et de bonnes œuvres.

L’appui moral de Lamennais ne lui fit pas défaut dans cette épreuve. Il était à ce moment à la Chênaie. Aussi lui écrit-il de fréquentes lettres qui méritent d’être citées, car il s’y montre à la fois ami compatissant et prêtre austère, ne transigeant pas avec le devoir. La première lettre qu’il lui adresse est toute de compassion. Cependant déjà il s’efforce de tourner au profit de l’amour divin les déceptions qu’a causées à cette âme passionnée l’amour humain :


Que je voudrais être près de vous pour vous consoler ! N’en doutez pas, jamais je n’eus pour vous plus d’attachement et une estime plus profonde. Je souffre de vos souffrances au-delà de toute expression. Le monde, en vérité, est bien abominable, et ce n’est pas sans desseins que Dieu vous le montre tel qu’il est ; il veut sécher jusqu’aux dernières racines du goût que peut être vous auriez pu conserver pour lui. Votre conduite a été belle et noble ; elle a été tout ce qu’elle devait être ; ne regrettez rien, le jour de la justice viendra, et aussi celui du bonheur. Les hommes n’ont pouvoir sur nous que jusqu’à un certain degré ; au-delà ils ne peuvent rien. Qu’avez-vous à craindre d’eux désormais ?…

On vous a calomniée indignement ; vous n’en recouvrerez que plus tôt et plus pleinement l’estime qui vous est due. Tous vos vrais amis vous restent, plus dévoués, plus attachés que jamais. Ayez confiance, Dieu vous protège, il veille sur vous ; quand toutes les créatures vous abandonneraient, il ne