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Le plateau sur lequel s’élève le gros bourg de Macomer, sans cesse balayé par les vents, est peut-être la partie la plus maussade de toute l’île. Des murs de pierres grises limitent des champs encore plus gris ; çà et là, des chênes sans cesse rabattus, espacés les uns des autres, procurent de maigres ombrages à un sol sur lequel dominent les épines noires et les ronces. En regardant vers l’Est, le Gennargentu lui-même, dont le pied est masqué par des collines basses, n’a pas le don de rehausser l’ensemble du pays aux lignes d’horizon trop uniformes.

De Macomer se détachent plusieurs lignes d’intérêt local : une d’elles conduit à travers une vallée pittoresque, sauvage, jusqu’à Nuoro, son point terminus, petite ville de 7 000 habitans à 580 mètres d’altitude, dominée par une vaste et lugubre prison. C’est de là qu’à plusieurs reprises je suis parti pour aller passer quelques semaines chaque fois dans les montagnes situées au Sud-Est. Tout ce coin de Sardaigne a joui pendant longtemps de la plus mauvaise réputation. Les guides l’indiquent encore comme un centre célèbre de brigandage. Les bandits y étaient en effet très nombreux, il y a quelques années, mais si le brigand sarde pouvait être incommode pour les habitans du pays, dangereux pour les gendarmes, il a toujours été inoffensif vis-à-vis des étrangers.

La Marmora raconte qu’au cours de ses nombreux séjours dans l’île, ceux-ci l’aidaient dans ses travaux de triangulation, surveillaient pour lui les points trigonométriques, et l’escortaient pendant ses routes. Moi-même j’ai vécu dans des huttes absolument isolées, j’ai chassé dans les parties les plus désertes et les plus sauvages des montagnes, bien souvent je suis rentré fort tard le soir, et en aucune façon je n’ai jamais été inquiété. Plusieurs fois, la nuit, les chiens qui nous gardaient se sont mis à aboyer, nous sommes naturellement sortis armés pour savoir ce qu’il y avait, mais nous n’avons jamais rien découvert d’anormal. Si plus haut j’ai parlé au passé, ce n’était pas pour dire que le brigandage avait complètement disparu : l’usage de rançonner son voisin est trop ancien pour pouvoir être extirpé d’un seul coup. Il y a encore aujourd’hui des têtes mises à prix par les autorités, mais j’ai voulu simplement indiquer qu’il y avait une accalmie datant de sept à huit ans.