Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/736

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

charitables amies, et parmi elles Fortunée Hamelin, redisaient les propos à l’irascible dame, en les agrémentant de commentaires. « Le caporal en jupes, » la citoyenne tenant « en laisse un vieux caniche, » la maman du « petit casse-noisettes, » — c’était elle, c’était son gendre, c’était sa fille !… Exaspérée par de tels quolibets, de plus fort ambitieuse et désirant un coup d’Etat, la mère d’Eugénie aiguillonnait de ses sarcasmes la vanité souffrante du malheureux Moreau. L’épouse intervenait dans cette comédie, pleurait, pleurait encore, incitant l’amoureux époux à risquer les plus folles équipées. Mais, âme irrésolue, et préférant d’autres campagnes, le grand soldat de Hohenlinden se refusait à marcher en avant.

Il avait cependant entr’ouvert sa porte, — la porte de sa belle-mère ! — à Fauche, le tentateur. Dans la maison de Mme Hulot, au fond d’un discret boudoir, derrière les portes closes, loin des valets de son hôtel, espions gagés par la police, Moreau avait conversé à voix basse. Des mois, rien que des mots !… « Armons-nous de philosophie ! Laissons passer les événemens ! Ici-bas, les hommes et les choses ont une courte durée ; Bonaparte ne saurait échapper à cette loi fatale. Attendons, croyez-moi, attendons ! »… Attendre ? Mais le Corse n’attendait pas ! Il allait s’emparer de la dictature ; bientôt, on le proclamerait empereur de la Gaule, César d’Occident ! « Ah ! mon général, pauvre France !… » Pauvre France, en effet ; mais que faire ? Et le maquignon de consciences avait quitté Moreau, peu satisfait[1].


Le Bon Louis, une fois la nuit tombée, faisait encore d’autres démarches. Envoyé par Charles Flint, surintendant de l’Alien Office, muni d’argent anglais, et missionnaire choisi pour activer les complots, il visitait dans leurs cachettes les directeurs d’agences royalistes. Chez eux, du moins, Fauche entendait de réconfortantes paroles, prophéties de catastrophes prochaines et de révolutions.

A Paris, ces agences étaient assez nombreuses. D’imprudens personnages, brouillons d’origines diverses, en rédigeaient les correspondances : ci-devant talons rouges, anciens robins, avocats, professeurs, policiers en retrait d’emploi, prêtres surtout. Les uns travaillaient sous le regard lointain et découragé

  1. Nous reviendrons plus longuement, en de prochains récits, sur cette importante entrevue.