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ceignait le tablier bleu, puis s’armant du balai, un torchon sur le bras, se faisait la servante de ce taudis à filles. D’ailleurs, aucun salaire : l’épouse d’un capitaine ! Et dans le sang de Péretti, Corse à « l’oreille fendue, » couvaient les plus féroces rancunes, désirs forcenés de vendette… Buonaparte, faiseur de dispetto Ah ! si, d’un coup de carabine, il avait pu, maudit, t’abattre et venger son injure !…

Il travaillait pourtant, mais dans les cabarets. Sans cesse à la poursuite de la pièce de cent sous, ce famélique était devenu escroc, enjôleur de dupes, détrousseur d’imbéciles. Une plaisante aventure dont il fut le héros nous fait connaître son astucieuse audace, et nous apprend aussi quel était le honteux renom de Bourrienne, secrétaire du Premier Consul.

Dans l’un de ces cafés où la bouteille de schnick le consolait de ses tristesses, Antonio rencontrait souvent un Italien, capitaine au long cours. Naïf jusqu’à la niaiserie, encore qu’il fût Génois, cet homme plaidait, depuis un an, contre l’Etat, n’obtenait pas justice, et se lamentait. « Ne vous désolez pas, mon brave, lui dit un jour son compagnon de petit verre ; j’irai parler de vous au Premier Consul. Napoleone est Corse ; il ne me refuse rien : nous cousinons… Oui, mais l’ami Buonaparte est affligé d’un secrétaire, — ah, per Giove, quel secrétaire ! — un gaillard dont la poche est un gouffre insatiable. Versons dans cet abîme une quarantaine de louis ; vous acquerrez un protecteur, et vous gagnez votre procès. » Convaincu, le Génois confia les huit cents francs destinés à corrompre Bourrienne, puis attendit : Bourrienne ne donna pas de ses nouvelles. Péretti, alors, s’indigna : « Un vampire ! Le brigand n’est pas satisfait ; il vous demande un chronomètre, et tend effrontément la main. Mettons-y, croyez-moi, la chaîne et les breloques, sans oublier la montre, que j’aperçois à votre gilet. Oh ! quel pendard de secrétaire ! » Croyant encore cette autre bourde, le débaucheur de conseiller d’État se laissa de nouveau dépouiller ; Péretti empocha le bréguet, et ne revint plus aux rendez-vous : un fort joli coup de haute pègre ! La police, avisée, se mit en campagne, sans parvenir à dénicher le prestigieux escamoteur… Mais allez donc chercher, dans un pouillis à cinq sous la nuitée, l’ami, le confident, le cousin du Premier Consul[1] !

  1. Plainte adressée au préfet de Police par le citoyen Chiazza, capitaine au long cours.