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V

Je n’étais pas préoccupé de ce qui pouvait arriver de Berlin ou d’Ems. Je l’étais, au contraire, beaucoup de ce qui surviendrait de Madrid, et je redoutais toujours quelque nouvelle noirceur de Prim. Selon l’observation très juste de Gramont, le texte de la dépêche du prince Antoine était conçu de manière à soulever le sentiment public espagnol ; on y remarquait comme une certaine affectation à admettre que la France portait atteinte à l’indépendance de ce peuple ; on eût dit qu’il voulait établir une solidarité entre la candidature de son fils et la fierté nationale de l’Espagne. Il disait en effet : « Si je ne retirais pas la candidature de mon fils, le peuple espagnol ne pourrait prendre conseil que du sentiment de son indépendance, et l’élection serait assurée. Je la retire pour ne pas exposer l’Espagne à la nécessité de défendre ses droits. » Le gouvernement espagnol excité sous-main par Prim, à l’exemple des Grecs après la renonciation du prince Alfred, ne se déciderait-il pas à passer outre et à proclamer roi le prince Léopold, à titre d’affirmation de son indépendance nationale ? Le prince, qui personnellement n’avait pas renoncé, imitant la conduite de son frère Charles en Roumanie, ne débarquerait-il pas, à l’improviste, sur les côtes espagnoles ? Une correspondance étrangère l’annonçait.

Dans la soirée, ayant ma femme à mon bras, je me dirigeai vers le quai d’Orsay où se trouvait alors l’ambassade d’Espagne. Olozaga dînait en ville. Nous l’attendîmes quelque temps en nous promenant sur le quai : il n’avait encore rien reçu de Madrid, mais il me rassura ; il ne doutait pas que son initiative ne fût approuvée ; si on la désavouait, il cesserait aussitôt d’être ambassadeur ; il l’avait notifié, et l’on n’oserait pas s’exposer à cet embarras. Il me confirma ce que l’Empereur m’avait raconté de la manière dont la renonciation avait été amenée. « Malgré l’intimité de nos rapports, me dit-il, je ne vous ai instruit de rien, parce que le secret le plus absolu était la première condition du succès. Sur mon insistance, l’Empereur n’a pas gardé une réserve moindre. » Et il me conta alors sa visite pendant le Conseil du matin aux Tuileries. Il ajouta à ces confidences les avis les plus affectueux et les plus sensés : « Croyez-moi, de notre côté tout est terminé, la renonciation sera acceptée, la candidature ne sera