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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/79

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abaissement définitif en Europe, et ils l’avaient menacé du discours furibond de Gambetta dont il était question dans les couloirs. L’Empereur, sous l’influence de leurs paroles, s’enfonçant dans sa défaillance, avait écrit à Gramont « d’accentuer davantage la dépêche qu’il avait dû envoyer à Benedetti. » La poussée intérieure de Saint-Cloud avait amené le télégramme de sept heures, la poussée extérieure des visiteurs du soir dicta la lettre à Gramont.

Quelque haut qu’on ait placé son âme au-dessus des susceptibilités vulgaires, il est impossible de ne pas ressentir certains procédés. Etre demeuré d’accord avec l’Empereur, à trois heures, qu’aucune détermination ne serait prise avant le lendemain au Conseil, et apprendre après onze heures du soir, par hasard, qu’une détermination grave a été adoptée, mise à exécution, sans qu’on ait été ni consulté, ni prévenu ; là où l’on arrivait pour une conversation dénouée se trouver en présence d’un fait accompli d’une importance majeure, il y avait de quoi justifier une explosion de rudes paroles. Cependant, je dominai mon sentiment. Cette lettre de l’Empereur, la première traçant une ligne de conduite au ministère qui ne me fût pas adressée, me faisait apparaître la demande de garantie, non comme l’incitation d’un collègue oublieux des devoirs de la solidarité ministérielle, mais comme un acte du pouvoir personnel auquel Gramont s’était prêté par habitude de métier. Ce ne fut pas à lui, ce fut à l’Empereur que je me réservai d’adresser ma plainte. A l’heure actuelle, que faire ? Je n’avais pas le pouvoir d’exiger de Gramont qu’il reprit son télégramme de sept heures envoyé en vertu d’un premier ordre, pas davantage celui de lui interdire d’exécuter le second ordre qu’il venait de recevoir. Tout au plus aurais-je pu le prier de se rendre avec moi auprès de l’Empereur, afin de l’amener à rétracter ses injonctions. Si nous eussions été en plein jour, je n’y aurais pas manqué. Mais à minuit je n’y pouvais songer. Aurais-je réussi à aborder l’Empereur, l’aurais-je amené à révoquer ses instructions et à n’y point persister, ces démarches eussent employé une partie de la nuit et un contre-ordre ne serait parvenu à Benedetti qu’après qu’il aurait exécuté l’ordre. Le fait était irrévocablement accompli ; je n’avais l’option qu’entre deux partis : ou protester par une démission, ou m’ingénier à annuler les conséquences de ce fait que je ne pouvais plus empêcher.