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Voici encore Emile V…, qui a quatorze ans : il est pâle, chétif, avec des yeux très intelligens : il a pris un foulard à un étalage.

— Il ne recommencera plus, monsieur, je vous le jure ! proteste la mère ; rendez-le-moi !

— Vous le rendre, fait le président, je veux bien ; vous êtes une brave femme, travailleuse, économe. Mais vous êtes une mère un peu faible. Les garçons, il ne faut pas les rudoyer, mais il faut les tenir. Vous n’avez pas su tenir le vôtre.

La mère insiste en pleurant : le petit Jacques pleure aussi. Les magistrats hésitent. Me Rollet intervient :

— Le Tribunal pourrait essayer de la liberté surveillée…

— Oui, dit le président. C’est bien le cas. Ecoutez-moi, madame, et toi aussi, petit. Le tribunal va donner la garde au Patronage de l’enfance, et le Patronage, madame, vous rendra votre garçon. Il sera libre, il ’aura pas une liberté complète. Un inspecteur le visitera régulièrement, vérifiera s’il travaille, s’il se conduit bien, et fera son rapport à Me Rollet. Alors, de deux choses l’une : ou le rapport sera satisfaisant, et, après quelque temps, la surveillance cessera : l’enfant sera définitivement libre ; ou le rapport sera défavorable, et l’enfant sera repris par le patronage. Ainsi, vous comprenez, madame : nous avons confiance en vous et en ce garçon. Nous faisons un essai. Il dépend de vous et de lui que l’essai réussisse… C’est bien entendu ?

— Oh ! soyez tranquilles, messieurs, et je vous remercie. Bien sûr qu’il sera sage et que j’y veillerai…

Elle a séché ses larmes, et se retire, enchantée.

D’autres enfans se succèdent sur les bancs, et le tribunal continue d’appliquer tour à tour ces mesures si diverses… Les exemples qu’on vient de voir sont assez significatifs pour permettre de se faire, sur ce tribunal et sur la justice qu’il rend, une opinion éclairée.

C’est un bon tribunal et c’est une bonne justice, si l’un et l’autre ne sont point parfaits. Assurément, il y a trop de monde à cette audience ; on fait trop de bruit. Magistrats et avocats s’efforcent ensemble, et avec raison, d’atténuer ce que l’appareil judiciaire a toujours d’un peu solennel et théâtral. Mais il n’est pas facile de se tenir à une mesure convenable. Il semble qu’on tombe un peu trop dans la familiarité, et que les petits prévenus n’y aient plus ni la crainte de la justice, ni le sentiment de leur faute. En revanche, si ce n’est plus la justice, c’est encore