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victorieusement une guerre contre la Turquie. La supériorité des forces ottomanes ne fait de doute pour personne sur terre, et, sur mer même, la flotte turque n’est pas autant qu’on l’a dit une quantité négligeable. Sans doute, elle se compose de bateaux démodés qui ont moisi longtemps dans le Bosphore ; on les jugeait incapables d’en sortir ; mais, depuis quelques mois l’amiral anglais Gamble, homme énergique, en a pris le commandement, et les journaux nous ont appris qu’un navires turc était arrivé dans les ports d’Asie Mineure où il a été accueilli avec enthousiasme. Ainsi, la Grèce aurait à compter avec les forces ottomanes sur terre et sur mer si la guerre éclatait. La seule question est donc de savoir si elle éclaterait dans le cas où la Grèce consacrerait l’annexion de la Crète par un acte officiel quelconque, par exemple, par l’admission de députés crétois dans le parlement hellénique. Or, cette question est résolue d’avance. Les Jeunes-Turcs déclarent très haut qu’ils n’hésiteraient pas une minute à faire la guerre à la Grèce si l’hypothèse dont nous parlons vouait à se réaliser, et beaucoup d’entre eux ne seraient nullement fâchés qu’on leur en fournît l’occasion. On prétend que c’est là de leur part un bluff destiné à faire reculer la Grèce et à intimider les puissances qui s’intéressent à elle : la vérité est que les Jeunes-Turcs, après les avanies qu’ils ont dû subir, rongent leur frein avec impatience, que la guerre parmi eux serait très populaire et que la Grèce, si elle s’y exposait, paierait pour l’Autriche et pour la Bulgarie. Nous l’aimons trop pour lui conseiller de courir un pareil risque.

Sans doute les puissances ne la laisseraient pas écraser ; elles interviendraient après les premiers coups pour demander aux Turcs de ne pas abuser de la victoire. Les guerres de la Turquie contre une puissance balkanique chrétienne sont toujours truquées ; elles ressemblent au duel de Faust contre Valentin, dans lequel Méphistophélès détourne les coups que le premier porte au second. C’est l’Europe ici qui joue le rôle de Méphistophélès ; mais qui sait si elle pourrait le faire avec la Jeune-Turquie dans les mêmes conditions qu’autrefois, et si son intervention continuerait de produire un effet décisif et immédiat ? En tout cas, l’Europe ne réussirait à arrêter le combat qu’en donnant une fois de plus à la Porte des garanties pour le maintien de sa souveraineté sur la Crète ; et alors où serait le bénéfice pour la Grèce ? La situation antérieure à la guerre se trouverait consacrée, par conséquent aggravée. La Grèce peut-elle attendre plus de l’Europe ? Non ; la situation générale et la politique particulière des diverses puissances ne comportent pas davantage. Toutes les puissances sont