Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et pour le public, mais pour le public des journaux. Il avait commis force chroniques, et déjà des chroniques dramatiques. Dès ce temps-là, il était passionné de théâtre. Cette passion, qu’on pourrait croire exclusivement « boulevardière, » est, au contraire, très « universitaire. » Les professeurs, — la perfection de notre « théâtre classique » en est sans doute la principale cause, — les professeurs ont une tendance, fâcheuse quelquefois, excellente le plus souvent, à faire de la littérature dramatique le centre et presque le tout de notre production littéraire : Corneille, Racine et Molière sont pour eux des demi-dieux, dont le culte nuit parfois à celui de Pascal et de Bossuet. Quand ils se tournent vers la littérature moderne, c’est encore le théâtre qui, presque toujours, les attire. Bon universitaire encore en cela, comme avant lui Sarcey, M. Faguet a donc de très bonne heure beaucoup aimé, beaucoup pratiqué le théâtre, et il y a, comme on sait, un an à peine qu’il a renoncé à son feuilleton dramatique du Journal des Débats. Il était tout naturel que son premier ouvrage fût consacré à la littérature dramatique ; et en effet, il le fut.

Il n’est pas assez connu, et il mériterait pourtant de l’être, — c’est souvent le sort des premiers livres, — ce volume sur la Tragédie française au XVIe siècle, dont Robert Garnier forme naturellement le centre. C’est une thèse de doctorat. Moins volumineuse, moins bourrée de notes et de citations, moins ennuyeuse aussi que les thèses d’aujourd’hui, cette étude a sans doute, sur quelques points de détail, été un peu dépassée depuis un quart de siècle qu’elle est écrite : elle n’en reste pas moins la meilleure et la plus sérieuse étude d’ensemble que nous possédions encore sur le sujet[1]. On y peut surprendre, — comme dans le livre Drame ancien, Drame moderne, qui, publié plus tard, en 1898, semble bien dater de cette première époque, — les traces d’une curieuse tendance d’esprit que M. Émile Faguet, de propos évidemment délibéré, n’a pas laissée se développer en lui, celle-là même qui devait si triomphalement s’épanouir chez Ferdinand Brunetière : je veux dire une certaine virtuosité dialectique, une remarquable aptitude à manier et à assembler des idées générales, à philosopher largement sur les données de la littérature

  1. Publié en 1883, le livre a été, il y a quelques années, réédité dans une Collection de reproductions en fac-similé et de réimpressions d’ouvrages rares du XIXe siècle, Paris, H. Welter, 1897, in-8o.