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hélas ! bien lointaine, quoique pourtant si proche de nous, où le livre fut publié.

On sortait de la crise boulangiste et de l’Exposition du Centenaire. Un apaisement se produisait dans les esprits. Le parti républicain triomphant faisait mine d’être généreux et de tendre la main à ses adversaires : on allait bientôt parler d’« esprit nouveau. » Le vieil anticléricalisme voltairien semblait avoir fait son temps. La haute et cordiale intelligence d’un admirable pape allait prêcher la réconciliation politique et la justice sociale. Les passions se calmaient ; on jugeait avec plus de calme, plus de sévérité aussi, l’esprit de négation, d’individualisme et d’anarchie issu de la philosophie du XVIIIe siècle ; de nouvelles aspirations morales et religieuses se faisaient jour ; on se retournait avec attendrissement, avec envie parfois, vers les croyances du passé. Taine achevait ses Origines, et allait bientôt donner ses fameux articles sur l’Église. M. de Vogué venait de publier ses nobles Remarques sur l’Exposition du Centenaire. M. Bourget venait de faire paraître le Disciple, et Ferdinand Brunetière, en attendant des déclarations plus décisives, lui prêtait l’appui de sa vigoureuse éloquence. M. Édouard Rod méditait déjà les Idées morales du temps présent. M. Lanson écrivait son beau livre sur Bossuet qu’il devait faire précéder d’une curieuse et suggestive Préface. M. Paul Desjardins allait publier le Devoir présent. Moment unique et douloureusement éphémère de notre histoire morale, et auquel maintenant on ne peut songer sans mélancolie. Que reste-t-il aujourd’hui de ces rêves, de ces illusions peut-être, dont se berçaient, il y a vingt ans, les plus généreux d’entre nous ? Entre la frivolité des uns, l’habileté, l’étroit dogmatisme ou les grossiers appétits des autres, quelle place y a-t-il désormais, — au moins extérieurement, — pour ces inquiétudes d’autrefois ?…

Ce fut au milieu de ces préoccupations assez nouvelles que parurent les Études littéraires sur le Dix-huitième siècle. Rarement livre vit le jour plus à son heure, et, sans que l’auteur l’eût, je crois, délibérément voulu, répondit mieux au besoin général des esprits. M. Faguet y dressait pour ainsi dire le bilan de l’esprit du XVIIIe siècle : cela avec une maîtrise du sujet, une vigueur dialectique, une justesse de formule, une autorité d’accent, une verve de style littéralement étourdissante. Ce que Brunetière d’une façon successive, intermittente et fragmentaire,