Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

morales puissantes et durables se fondant, à l’ordinaire, sous forme religieuse, ce que l’historien moraliste attend dans les premières années du XIXe siècle, c’est un essai de religion nouvelle, et il n’est rien, par exemple, qui l’étonne moins que la tentative saint-simonienne. » Mais c’est ce dont on ne s’avise pas tout d’abord. Tandis que les uns, comme Royer-Collard et Guizot, presque tout absorbés par le problème politique, songent surtout à assagir, à réprimer peut-être l’élan démocratique par le développement de la liberté, que d’autres, comme Mme de Staël et Benjamin Constant, protestans libéraux avant la lettre, rêvent d’un vague christianisme sans dogmes étroitement associé à un large rationalisme, d’autres enfin, comme Joseph de Maistre et Bonald, veulent tout simplement ramener les esprits aux fortes croyances religieuses du passé. — Puis vient une nouvelle génération de penseurs, moins engagés dans les voies du XVIIIe siècle, plus pénétrans, plus généreux, plus hardis surtout, et qui ceux-là posent le grand problème moderne dans toute sa force et sa complexité.


Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ?


Ce sont, ceux-là, des rénovateurs ou des fondateurs de religions. Les uns, — un Ballanche, un Lamennais, — prêchent un catholicisme rajeuni, progressif, évolutif, enrichi et agrandi de tout l’effort de la pensée moderne. Un autre, un fougueux et fumeux protestant, Edgar Quinet, veut un protestantisme « ardent comme une foi, combatif et ardent comme une secte et libre comme une philosophie. » Un autre, Fourier, « un pur anarchiste, » divinise l’homme individuel et réalise en chacun de nous le miracle du pouvoir spirituel. Un autre, Victor Cousin, invente l’éclectisme, en fait une religion nouvelle et de son « régiment » universitaire un nouveau clergé. Un autre encore, Saint-Simon, rêve le premier d’une religion inédite, et fut « comme un fondateur de religion qui n’aurait jamais songé qu’à constituer un clergé. » Un dernier enfin, Auguste Comte, « a vu tout le problème du pouvoir spirituel et l’a abordé avec une franchise et une hardiesse absolues. » Il a vénéré les religions disparues et périmées, et il en a fondé une de toutes pièces. Et tous ils ont échoué, comme leurs prédécesseurs. — Survient alors une dernière génération de hauts et vigoureux esprits, tous très différens les uns des autres, et dont le seul trait commun est