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marquer de son empreinte la période passée dont nous nous occupons ici. Et les difficultés de sa naissance, au lendemain cependant de Fachoda, prouvent assez l’état d’esprit qui prévalait encore en des temps voisins du nôtre.

Dans un pays de si molle insouciance, où l’opinion ne se prononce pas plus clairement, et où le gouvernement dépend sans réserve de cette opinion, il ne faut pas s’attendre à un secours éclairé des pouvoirs publics. C’est d’en bas que vient toute force, et il n’en vient chez nous que faiblesse pour la marine. Au contraire, le peuple anglais a su se donner lui-même sa marine ; le peuple allemand l’a reçue de ses gouvernans. On sait comment Bismarck et Guillaume Ier préparèrent de loin, avec la renaissance maritime de l’empire, les vastes ambitions de sa puissance grandissante. Ces ambitions, Guillaume II les a faites siennes. Il a précisé, activé, généralisé le mouvement à peine commencé dans les esprits ; il l’a imposé à son peuple de tout le poids de sa propagande souveraine. Nous n’en rappellerons pas les mille formes. Elles sont autant d’exemples que nos gouvernans n’ont point suivis. Guillaume II avait contribué à fonder la Ligue navale allemande : eux tiennent en défiance la ligue française. Dans leur unique souci des profits électoraux, nos hommes politiques délaissent des sujets d’un intérêt si lointain. Marine marchande, marine de guerre, nos institutions maritimes, faibles, douloureuses et contrefaites, sont comme les enfans étiolés faute de tendresse. Il leur a manqué cet amour qui fait le soin maternel et le rend efficace. Sur les industries de mer la lèpre du formalisme, sur l’armée navale la gangrène de l’incurie militaire ont pu s’étaler sans protestation. Il eût suffi d’un peu de sollicitude inquiète pour entendre les plaintes et découvrir les remèdes ; l’indifférence publique, l’égoïsme parlementaire se bouchaient les oreilles et les yeux : quand survinrent les accidens que l’on sait, il était bien tard pour réagir.

Le pays aura des comptes à demander à ceux qui rendirent l’œuvre à la fois urgente et difficile, à tous ces pilotes appointés qui n’ont pas clamé les récifs. Parmi eux, certains représentans locaux des centres d’industrie, certains ministres du Commerce et des Colonies, certains députés des ports étaient les voix désignées pour exprimer les premières cette solidarité qui lie tous les intérêts privés et publics à l’expansion maritime. Mais les ministres défendent des créatures politiques plus que des thèses