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spéciale d’examen des comptes prise dans leur sein, pas assez de l’enquête menée obligatoirement chaque année depuis 1906 dans les magasins, à terre et à bord, par trois membres de la Commission du budget : notre marine qui est la plus soupçonnée, la plus surveillée, la plus auscultée du monde, doit répondre à toutes les demandes de renseignemens formulées par les parlementaires en mal de rapport, d’interpellation, de « question, » ou simplement de documentation personnelle. On imagine le désordre apporté dans le travail des bureaux par ces exigences qui n’attendent pas. Et ce n’est rien à côté des recherches fiévreuses provoquées par le ministre pour s’armer d’avance contre les interpellations, toujours menaçantes, dont la pointe envenimée se dissimule jusqu’à la fin. Pour achever, paraissent les Commissions d’enquête : douze, quinze, vingt inquisiteurs à pleins pouvoirs, lâchés à travers la marine dont souvent ils ignorent tout, à la recherche du petit fait retentissant qui met en péril un ministère. Il est des enquêtes plus ou moins sérieuses : quelle qu’en soit la nature, cela se traduit toujours par une avalanche de questions, une hâte de convocation, un bruit, une agitation stérile épandue par les bureaux. La besogne utile et silencieuse reste en suspens : on regarde passer la tourmente. Depuis seize ans les grandes Commissions extra-parlementaires, parlementaires, administratives, etc., se rapprochent de plus en plus jusqu’à se joindre et parfois se doubler. Le fonctionnement normal du département a cessé d’être la règle : déjà il vit sous un régime révolutionnaire.

Celui-ci se traduit, outre l’agitation occasionnelle que nous venons de constater, par un certain état d’esprit et des habitudes fâcheuses. L’état d’esprit est celui de la défiance timorée. Les habitudes sont celles du favoritisme. La hantise de ce contrôle bruyant qui fait scandale d’un rien comme il laisse passer des énormités, et ne voit dans une administration complexe, dont le jeu lui échappe, que la seule régularité des écritures, mène à raffiner sur le détail de cette comptabilité formaliste. On ne saurait, quand le maître est soupçonneux, prendre trop de précautions. Et le politicien, fils du peuple, fait d’ailleurs aux duperies d’un milieu qui n’enseigne pas la confiance, ne voit partout que tripotages. C’est ainsi qu’il faut déranger vingt-quatre personnes pour acheter régulièrement trois œufs au compte de la fonderie de Ruelle, faire intervenir tous les pouvoirs