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ordonnée, répartie entre les organes et échelons divers. D’où l’incohérence et l’irresponsabilité.

Nous serons dispensés de nous étendre sur cette incohérence après le vigoureux article du commandant Davin qu’on a pu lire ici même[1]. Nous avons signalé le défaut d’ensemble dans les vues réformatrices : il est le reflet d’une organisation sans unité véritable. Les différens services, dépourvus de liaison normale, ne peuvent confronter leurs exigences, également naturelles, mais opposées. Or le compromis fondamental sur lequel s’équilibre tout le plan du bateau de guerre, se réfléchit forcément dans chaque détail de son armement, de sa construction, de son approvisionnement. Chacune des questions soulevées par l’activité quotidienne du ministère retentit ainsi sur toutes les branches techniques. La recherche des solutions capables de mettre d’accord tant de tendances contradictoires nécessiterait des relations régulières entre les bureaux : il n’en existe pas. Le ministre seul départage les avis. Eût-il des lumières suffisantes, que tout ne pourrait être étudié, tranché par lui. Les bureaux donc, tant bien que mal, négocient directement des transactions laborieuses. Cela dure des mois : notes écrites, formalités, recours aux conseils consultatifs, brigues secrètes, etc., pour finir en une décision brusque inspirée en sous-main par le plus adroit. Il faut s’attendre à ce que ce dernier fasse trancher dans son propre sens. Et l’anarchie se poursuit dans chacun des services : entre la direction des Constructions Navales et . la Section Technique, par exemple, qui n’a point à savoir si les plans fournis par elle le sont en temps utile ou ne comportent pas de difficultés spéciales de construction. M. Ch. Ferrand cite le conflit suscité par quelques taquets de la Démocratie, modifiés par Brest pour faciliter l’aménagement. Il fallut faire appel au ministre.

Les retards dus au formalisme se compliquent ainsi de tous ceux qui sont dus à l’incohérence, aux querelles, aux frottemens internes. Or, le retard engendre dans le domaine militaire l’impuissance, dans le domaine industriel le gaspillage. C’est pour avoir trop tardé qu’on n’appliqua pas à temps les mesures qui eussent sauvé l’Iéna. La durée interminable de nos constructions déclasse par avance nos bateaux neufs. Elle en accroît aussi le prix. Les plans sont tellement remaniés en cours de construction que le marché du Voltaire à La Seyne a déjà subi, paraît-il,

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1908.