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A côté du nouvelliste qui orne, déforme ou exagère, nous trouvons son confrère qui insère, de propos délibéré, des informations sensationnelles, pour se faire valoir et augmenter le chiffre de ses abonnés. Le bruit courut en 1767 que la servante de Mme Calas était morte en disant que la famille du jeune Calas l’avait réellement étranglé. Voltaire, tout ému, en écrit à Elie de Beaumont : « On me mande que cette imposture a été répandue par un folliculaire qui croyait qu’en effet la servante de Mme Calas était morte et qu’il pouvait insérer toute cette fable dans ses feuilles qui, par là, reprendraient quelque crédit et lui procureraient quelque argent. »

Puis les gais farceurs, M. Lemice-Terrieux ; car aucune figure moderne ne manque parmi nos compagnons.

Où se tenaient les bureaux des nouvellistes ? Un peu partout ; le plus souvent dans leurs domiciles particuliers, de pauvres mansardes, sous les combles, tapissées d’affiches de comédie collées à cru sur les lattes ; ou bien dans quelque cabaret. Nombre de ces gazetiers griffonnaient leurs chefs d’œuvre à la tabagie ou au café, sur un coin de table, entre une bavaroise et un verre de limonade. En 1724, Bosset est mis au Grand-Châtelet. Quand on lui représente ceux des articles de ses gazettes qui sont particulièrement incriminés, il reconnaît qu’il les a composés au café Rossignol, à la Croix du Tiroir, d’après les conversations du jour, « pour achever une page. »

Quant à la situation sociale des nouvellistes, — pour la plupart ils étaient de pauvres hères, des déclassés, épaves de la grande ville. L’avocat Marchand nous les montre « avec des habits noirs déguenillés, des vestes rouges tannées, des bas troués, des souliers ferrés, du linge sale et des perruques rousses. » Parmi eux s’est rencontré un membre de l’Académie des Inscriptions, Nicolas Mahudel ; mais c’était un désespéré, à la peau duquel la femme s’éta’it attachée comme une sangsue. Clercs de la basoche congédiés par leur patron, prêtres interdits, officiers réformés, étudians en quête des ressources exigées par les beaux yeux de Lisette : il fallait vivre et parer sa mie. Enfin des domestiques.

Mais si bafoués, si méprisés que fussent ces besogneux, quelle influence, du fond de leur misère, n’ont-ils pas exercée sur leurs contemporains ? Ils avaient des plumes actives, inlassables ; ils avaient en France, par toute l’Europe, des milliers de lecteurs.