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par leur honnêteté, leur intelligence, leur travail acharné, amassé un bon pécule, ils retourneront en France, et reverront le clocher natal. Alors l’ex-émigrant se mariera avec une fille du terroir, généralement une cousine, et terminera sa vie, là où ont vécu ses ascendans, dans le quartier où lui-même a grandi.

Plus les départs se font fréquens, moindres deviennent les difficultés de voyage, d’installation, des débuts. L’émigration appelle l’émigration. Bref, en 1864, à l’époque de la guerre moins utile que glorieuse qu’ils ont plutôt subie que favorisée, les « Barcelonnettes » établis au Mexique sr comptent par plus de quatre cents et se répartissent entre quarante-cinq établissemens dont plusieurs disséminés ailleurs qu’à Mexico. Presque tous nos « américains » s’occupent à vendre des étoffes, ce qui se comprend, puisque primitivement c’était la décadence d’un commerce similaire qui avait provoqué leur exode.

On part après avoir satisfait à la loi militaire et l’on revient pour se marier. Mais, chose digne de remarque, ces ménages retour du Nouveau Monde (au moins en ce qui concerne le mari) sont trop souvent stériles, et l’on conçoit aisément qu’un ex-commis de boutique n’ira jamais reprendre la faux ou la bêche, comme le faisaient sans difficulté le colporteur ou le joueur de vielle d’autrefois. Le bien familial situé dans la montagne n’est plus cultivé ou est abandonné à des Piémontais ; plus de fermes isolées, presque personne dans les hameaux à moitié déserts ; en revanche, de luxueuses villas dans le voisinage des principales et des plus agréables agglomérations, et encore beaucoup de leurs riches possesseurs n’y résident plus actuellement que pendant trois mois d’été. Il se forme alors dans ces cantons reculés une agglomération de millionnaires qui y rendent la vie matérielle fort chère, souvent plus dispendieuse que dans bien des grandes villes du Midi.

Nous n’avons pas abusé des chiffres jusqu’ici. Néanmoins, il faut bien en fournir quelques-uns pour éclaircir notre texte. En 1784, Jausiers, grosse commune voisine de Barcelonnette, et centre de départ comme de retour des « mexicains », possédait 2 116 habitans ; sous Louis-Philippe, 200 environ de moins ; au recensement de 1901, 1 328, plus 469 de population comptée à part. Pourtant, en un siècle, de 1784 à 1884, le nombre de familles a augmenté de 318 à 349 ; c’est le cas ou jamais de répéter : « Il n’y a plus d’enfans : » L’agglomération chef-lieu réunissait en 1784