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il en avait démêlé le fort et le faible, et comme il était dans sa nature d’insister sur le mauvais côté des choses, il devait surtout retenir de l’Académie les ridicules qui défrayaient sa malice. Ajoutez que sa vanité y .trouvait son compte ; il y a une apparence de supériorité à se moquer d’un honneur qu’on possède et dont d’autres se glorifient. Enfin ses principes entraient en jeu ; toute corporation lui paraissait une institution à détruire, comme une citadelle où se réfugiait l’esprit du passé ; les réformer, c’était impossible ; il n’y avait qu’à les faire disparaître. « Ces corps répugnent à tous les changemens et semblent avoir pris pour devise le mot d’un pape sur les Jésuites : Qu’ils soient comme ils sont, ou qu’ils ne soient plus[1]. » On peut croire qu’il ne les épargnait guère en paroles, dans ces conciliabules où l’on se réunissait « pour rire civiquement sur les Académies[2] ; » il est aisé de se l’imaginer alors, plein d’une verve amère, agressif et mordant, poursuivant de ses sarcasmes les choses et les hommes. Aussi, quand Mirabeau fut chargé par l’Assemblée nationale de présenter un rapport sur ces institutions, l’entente fut vite établie : Mirabeau prononcerait le discours ; mais Chamfort l’écrirait ; il semblait tout désigné pour cette tâche, il n’avait qu’à se souvenir.

L’ouvrage ne serait pas désagréable à lire aujourd’hui, si nous prenions notre parti d’une méchante action ; mais le pouvons-nous ? Que l’on soit l’ennemi des Académies, de ces « jurandes littéraires, » comme Chamfort les appelle, la thèse est soutenable ; en ce cas, il est de bon goût, et il est de la plus élémentaire loyauté, de commencer par n’en point faire partie. Que l’on juge misérables et ridicules les occupations académiques, c’est une opinion qu’on est libre d’avoir. Mais ce que nous n’admettrons jamais, c’est que le même homme, trois fois par semaine, prenne part aux travaux d’une assemblée, comme à des œuvres sérieuses, sans une protestation, sans un blâme, et qu’il aille ensuite se moquer avec ses amis de ce qu’il vient de voir et d’entendre ; c’est qu’il trahisse des confrères qui se sont livrés à lui en confiance et prépare la ruine d’une compagnie qu’il continue de fréquenter. Car il continuait à venir aux séances. Le 20 janvier 1791, deux mois seulement avant la mort de Mirabeau, sa présence est encore mentionnée sur les registres. À cette date,

  1. Éd. Auguis, III, p. 149-150.
  2. Éd. Auguis, V, p. 436.