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la vie mouvante retient tout mon esprit. Plus tard, en d’autres temps, j’essaierai peut-être de fixer votre image, Sainte-Sophie toute d’or, Yéni-Validé-Djami aux faïences fleuries, aux stucs translucides, qu’emplissait la lumière pure et la voix triste, oscillante comme un jet d’eau sous le vent, d’un pèlerin arabe chantant seul, pour lui seul, sous le dôme immense…

La vie ! elle me reprend dès le seuil, quand j’ai rejeté le charme du songe avec les babouches louées par le gardien, quand Moïse, toujours souriant, m’emmène à travers les rues…

Ce sont des rues de faubourg, qui n’ont pas de noms, ou bien des noms si difficiles que je ne les ai pas retenus ; des rues presque villageoises, à peine pavées, bordées de petites maisons en bois. Elles sont toutes pareilles, ces maisons : une porte entre les deux fenêtres du rez-de-chaussée ; et au-dessus de la porte, le balcon avançant et clos de grillages, sous le toit en auvent. Toutes pareilles, oui, du même gris, du même brun rougeâtre ; — mais l’une penche vers la rue, l’autre s’accote à sa voisine ; la ligne des façades et des toitures se brise et s’infléchit ; on dirait une file de petites vieilles en robes fanées, de taille inégale, sœurs et différentes…

Il y a peu de monde, dans ces rues ; des femmes accroupies immobiles, qui ont des figures comme des noix dans le triangle de leurs voiles blancs ; des aveugles résignés tendant la main quand an bruit de pas les réveille ; des enfans pâles, jolis, qui me tirent la langue et me crient je ne sais quelles choses assurément fort vilaines… Et puis, des poules, des chiens, une charrette attelée de buffles gris, aux cornes tordues, aux longs poils raides, des buffles stupides et sculpturaux.

Parfois, une petite place, avec une mosquée blanche, et une fontaine où l’eau captive se plaint derrière une grille d’or ; quelques arbres d’un vert vif et, sur la façade d’un humble café, la frange mauve et le parfum délicat d’une glycine délicieuse.

Tout cela est paisible, si paisible ! De quoi les touristes ont- ils peur ? Pourquoi suis-je presque seule dans cette ville, et pour- quoi Moïse jette-t-il sans cesse, autour de nous, des regards méfians ? Dans ce décor splendide et misérable, sous le soleil langoureux, parmi l’arôme épars des glycines, on peut bien oublier qu’une armée campe aux portes de Stamboul et que, demain peut-être, des hommes s’entre-tueront…

Mais voici des rues plus animées, des rues à boutiques. Les