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de sa puissance la mettait à l’abri d’une agression soudaine et lui permettait de gagner du temps. Or, l’attaque brusquée ne faisait aucun doute pour ceux qui étaient renseignés sur le Japon. En voici la preuve : le New-York Herald, édition de Paris, dans son numéro du 8 novembre 1903, dit ceci : « Sans aucun doute les Japonais font des préparatifs guerriers à Kynshu, et si les négociations entre leur ministère des Affaires étrangères et le baron de Rosen ne prennent pas une tournure favorable, ils peuvent, soudainement et sans avertissement, jeter une large force en Corée, la flotte actuellement à Masampho protégeant le débarquement. »

L’avertissement était formel, mais au nom de la logique une telle éventualité était considérée comme impossible, il n’en fut tenu aucun compte.

Pour comprendre les événemens qui se préparent, il est utile de se rendre compte des forces dont la mise en jeu a permis au Japon d’apparaître soudain, aux yeux de l’Europe étonnée, comme une puissance militaire de premier ordre.

L’espace qui nous sépare de la dernière guerre donne un recul déjà suffisant pour pouvoir affirmer que les succès ininterrompus des armées japonaises proviennent de leur exceptionnelle énergie et de leur souverain mépris de la mort.

En un temps très court, puisque, au point de vue de son organisation à l’européenne, elle n’existait pas avant 1868, cette armée, sans avoir de traditions tactiques, sans avoir été préparée au combat par un génie militaire tel que Turenne ou Napoléon, a mené victorieusement trois guerres en l’espace de dix ans, sans une défaillance, sans un échec. Les deux premières, il est vrai, ont été peu importantes, mais la troisième a vu les plus grandes batailles des temps modernes, tant par le nombre des combattans engagés des deux côtés, que par la durée et la ténacité de la lutte. L’éducation militaire des grands chefs avait-elle préparé les succès des Japonais ? Sous le rapport du caractère, oui certainement. Le nom d’homme de fer, donné à Wellington, leur revient également. Tous ont mis en pratique ce principe directeur du commandement des armées : la crainte des pertes est immorale. Mais, sous le rapport technique, il faut rappeler que le général Nogi, le vainqueur de Port-Arthur, actuellement gouverneur du collège des filles nobles de Tokyo, a reçu sa première instruction militaire avec l’arc et le sabre. Le mauvais