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C’est là que, chaque jour, penché sur le miroir
Des transparentes eaux, Narcisse venait voir
Se réfléchir sa blonde image ;
Victime d’une illusion, il parlait bas
À ce jeune inconnu, qui ne répondait pas,
Et qui paraissait de son âge…

Il demeurait ainsi, les bras tendus en vain
Vers ce front lisse et pur, vers ces boucles d’or fin
Retombant sur ce col d’ivoire ;
Sa lèvre murmurait des vœux irrésolus,
S’offrait pour un baiser… et ne rencontrait plus
Que l’eau froide aux reflets de moire.

À cette vue, Écho savourait sa douleur.
« Renonce, » disait-elle, « ô toi qui pris mon cœur,
Renonce à ta folle chimère
Et viens à mes côtés, là, parmi les roseaux…
L’image qui te rit, si blonde au sein des eaux,
Narcisse, est une ombre éphémère !

« Nul autre que toi-même, ô bel adolescent,
N’eut ces traits, ce regard dont mon âme ressent
Un mal inquiet et perfide ;
Mais, tandis que mes yeux sont des miroirs si clairs,
Songes-tu que la brise, en agitant les airs,
Trouble l’onde unie et la ride ?…

« Mes yeux ne changent point… Mire-toi dans mes yeux !
Pour toi, j’ai fui mes sœurs, j’ai fui l’ardeur des jeux
Auxquels je me plaisais naguère ;
J’ai fui… L’amour guidait vers toi mon pas errant ;
Le sais-tu, beau Narcisse au cœur indifférent,
Beau Narcisse à qui je veux plaire ?… »

Mais Narcisse n’écoutait rien… Toujours penché
Sur les eaux, il restait à la rive attaché
Par d’étranges et puissans charmes ;
Peu à peu se mouraient les roses de son teint,
Et son regard, ainsi qu’un flambeau qui s’éteint,
Se voilait de deuil et de larmes ;