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remplissaient l’une des salles de la brillante et mémorable exposition des Cent Portraits de Femmes. Ceux-là évoquent, en vérité, devant nous la lugubre vision de la séance de cour que nous a décrite le poète Henri Heine, et dont il a placé la scène précisément à quelques pas de la terrasse où siégeait la récente exposition franco-anglaise :


Voici, au Pavillon de Flore, la reine Marie-Antoinette ! Elle tient là, ce matin, son lever, avec l’étiquette la plus sévère.

Et voici des dames en grand apparat ! La plupart restent debout ; d’autres sont assises sur des tabourets. A leurs robes de soie et de brocart d’or pendent bijoux et dentelles.

Leurs tailles sont minces, leurs jupes se gonflent, et, par-dessous, les fins petits pieds aux hauts talons ressortent d’une façon si piquante ! Ah ! si seulement elles avaient des têtes !

Mais aucune d’elles n’a de tête ! La Reine elle-même manque de tête, et c’est pourquoi Sa Majesté, ce matin, n’a pas appelé son friseur de cour !


Parmi les belles jeunes femmes qui nous accueillaient joyeusement, dans la salle française de la terrasse des Tuileries, combien il s’en trouvait qui auraient eu le droit d’assister à ce petit lever, depuis la Reine elle-même, rayonnante de fraîcheur et d’éclat juvénile dans le sonore portrait de François-Hubert Drouais, jusqu’à l’exquise Mme du Barry, représentée sous les aspects les plus divers aux quatre coins de l’exposition, et à qui son manque de tête aurait enfin rouvert, j’imagine, l’accès d’une cour longtemps restée fermée à la pauvre fille ! Combien d’autres, parmi ces modèles des David, des Danloux, et des Vigée-Lebrun, comme la noble et touchante Mme Lavoisier, se sont vu ravir brusquement des êtres dont la vie leur était plus chère que leur propre vie, tandis que le reste, — les plus privilégiées, — ont dû échanger bientôt leur somptueuse existence de reines de salon contre la longue série des fatigues, des privations, des angoisses et des misères d’un lamentable exil ! Si bien que, plus d’une fois, en sortant de cette salle des portraits français pour pénétrer dans la seconde partie de l’exposition, j’ai remercié de tout mon cœur les vieux peintres anglais de n’avoir du moins à m’offrir que des images d’une humanité plus banale, soumise simplement aux lois ordinaires de notre condition. Et cependant, là encore, sous l’apparence orgueilleuse et sereine de ces dames anglaises du temps de George III, qui sait si l’historien ne découvrirait pas la trace ou l’annonce de tragédies plus cruelles que toutes celles que nous rappelaient les souriantes figures de la salle voisine ? Déjà M. de la Sizeranne, dans un éloquent article qu’on n’a