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temps, et plus particulièrement dans une circonstance toute récente, M. Poincaré s’est trouvé obligé de rapporter devant le Sénat des projets ou des avis qui n’étaient pas conformes à son sentiment personnel. Il le disait sans doute, et il dégageait ainsi sa responsabilité propre ; mais il y avait là pour lui une situation un peu fausse, et sa liberté s’en trouvait diminuée. Il est donc tout naturel qu’il ait voulu reprendre sa pleine indépendance. Mais le fait a été très remarqué, et l’impression en a été d’autant plus vive que les discours prononcés par M. Poincaré dans son bureau ont été la critique la plus complète du projet de budget. Ces critiques, M. Poincaré avait mieux que personne le droit de les faire. Ministre des Finances avant M. Caillaux, il a eu, en effet, le courage de dire alors la vérité. On se rappelle qu’il a, dès ce moment, chiffré les dépenses réelles à 4 milliards et qu’il a proposé les moyens d’y faire face. Sa sincérité a inquiété, son courage a effrayé. M. Caillaux s’est fait fort de rétablir en douceur une situation normale, pourvu qu’on lui permît d’user pendant quelque temps encore de certaines habiletés. Aujourd’hui, l’échéance est arrivée, et on peut voir ce qu’ont valu ces habiletés. M. Caillaux avoue, dans son exposé des motifs, que la situation financière est « difficile. » Elle l’est effectivement devenue parce qu’on n’a pas voulu, en temps opportun, voir les choses et surtout les montrer au pays comme elles étaient. Pensez donc, on était alors comme aujourd’hui à la veille des élections ! On a donc renfoncé la vérité dans son puits. Elle en sort maintenant sous la forme de propositions d’impôts mal choisis sans aucun doute, et dont quelques-uns sont inadmissibles, mais qui n’en sont pas moins inévitables : il faut, ou les remplacer par d’autres, ou emprunter. Le moment est passé de ruser avec une situation aussi claire, et ce n’est pas assez de dire qu’elle est « difficile, » car elle est périlleuse, et les projets qu’on nous annonce ne peuvent que l’aggraver.

Parmi ces projets, celui des retraites ouvrières tient la tête : le Sénat aura à s’en occuper à la rentrée. En attendant, il s’occupe des retraites des cheminots. Pourquoi, à la veille d’étudier et de régler dans son ensemble la question générale des retraites ouvrières, en a-t-on distrait, pour la régler à part, la question de la retraite d’une catégorie spéciale d’ouvriers ? C’est à coup sûr le triomphe de l’illogisme, et il y aurait lieu de s’en étonner, si on ne savait pas que les cheminots sont solidement organisés, qu’ils ont un syndicat énergique et des exigences proportionnées à tant d’avantages, enfin qu’ils sont forts et qu’ils inquiètent. Voilà pourquoi il a fallu les servir les premiers