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l’Assemblée nationale, aux juges compétens, le soin de rechercher et de punir les coupables. Leur rôle actif est terminé. Ils demeurent à Constantinople comme des protecteurs et les défenseurs des lois.


Le jardin du Taxim où l’on entassa, hier, les cadavres, est débarrassé de ses hôtes funèbres et sert de refuge à quelques chevaux blessés. Les pauvres bêtes s’en vont sur trois pattes, le flanc éraflé, la tête basse, l’œil craintif. Le pavillon des musiciens n’a plus une vitre ; les balles ont tailladé l’écorce des platanes et coupé mille brindilles des rameaux. On sent qu’une calamité anormale a passé là, qu’une mélancolie est restée sur les choses. L’herbe foulée garde-t-elle le froissement des agonies ? L’ombre des jeunes feuilles est-elle plus froide d’avoir tremblé sur les faces livides des morts ? Les jardiniers qui fouillent le terreau des plates-bandes ne font-ils pas des gestes de fossoyeurs ?… Sensations réelles ou caprices de l’imagination, tout ce qui assombrit un instant notre âme, s’évanouit dans la lumière vaporeuse et la tiédeur légère de l’air. Avril enchante le jardin, comme une promesse d’amour, comme un pressentiment de bonheur, et tout dit la douceur de vivre : les premières pervenches qui ouvrent leurs yeux bleus, dans le sombre feuillage rampant, les premiers boutons des rosiers qui demain seront lourds de roses ; et, à travers le filigrane des rameaux, le Bosphore bleu, les collines d’Asie, vertes et violacées, la molle écume lumineuse des nuages…

Et, tout ocreuse, dans le soleil, ses fenêtres crevées encadrant des morceaux d’azur, voici la grande caserne vide qu’entourent les promeneurs. Les obus ont ravagé les murs et les plafonds, et des soldats, grimpés au second étage, achèvent de desceller de grosses pierres branlantes qui cèdent tout d’un coup, et tombent, avec un bruit sourd, dans un tourbillon de poussière soulevée.

Soldats bleus ou gris, marchands de noisettes grillées, pauvresses en tcharchaf d’étamine écrue, dames grecques en fourreaux Empire, petites filles en mousseline, ’servantes qui poussent des voitures de bébés, tous s’écartent un moment, le nez en l’air, puis reprennent leur promenade flâneuse. Des gens, munis de lorgnettes, regardent de l’autre côté du. Bosphore, sur le revers de