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Dans l’Inde, cette exclamation répond à un mouvement d’une gravité singulière, parce que l’agitation, loin d’être l’œuvre de propagandistes isolés et quelconques, obéit au mot d’ordre d’hommes influons, de Babous, disciples des maîtres occidentaux. À Bombay, c’est le brahmane Tilak et l’avocat indou Growdhurry leader du Swadeshi Movement : à Calcutta, ce sont : Arabinos Ghose, ancien élève de l’université de Cambridge, le fanatique Banerjee, Dadabhaï Naoroji, ancien député aux Communes, le journaliste Bepin Chandra Pal ; à Lahore, c’est l’avocat Lapjat Raï, principal instigateur des troubles.

Que demandent ces intellectuels mécontens, qui recrutent chaque jour des adhérons nouveaux ? Les plus hardis voudraient tout supprimer : les castes, les religions, mais surtout les Anglais. Les modérés réclament pour aujourd’hui le self government et pour demain l’affranchissement intégral de l’Inde. Depuis Moukden et Tsushima, ces révolutionnaires savent que les Européens ne sont pas invincibles. De là à vouloir les chasser pour vivre sans eux, il n’y a pas loin. Cette expulsion leur paraît réalisable : Nous sommes 300 millions, disent-ils, sur le sol natal ; les Anglais ne sont que 150 000. Pourquoi 2 000 contre 1 ne feraient-ils pas ce qu’ont fait les Nippons ?

On pourrait leur répondre que l’Inde ne constitue pas une nation, pour le moment. Sa population hétérogène, loin de former un bloc cohérent comme celle du Japon dont les Babous parlent si volontiers, n’est qu’un mélange de groupes aussi dissemblables parfois que les Espagnols et les Norvégiens, avec une infinie variété d’idiomes, de religions et de coutumes. La « jeune Inde » a beau citer les Suisses comme peuple à plusieurs langues, elle ne convaincra personne. On ne saurait comparer un État, quel qu’il soit, d’Europe ou d’Amérique à une multitude ignorante, sans aucune notion de politique intérieure et extérieure, dénuée de toute expérience, incapable d’organiser le chaos, plus encore d’appliquer les règles du self government.

Au point de vue politique, les Indous sont sujets ou protégés anglais. Au nombre de 65 millions, ils conservent leurs chefs héréditaires, ombres de souverains, qui, sous une tutelle rigoureuse, exercent un pouvoir apparent, comme le bey de Tunis ou Sisowath. Défense de voyager en Europe sans l’autorisation du vice-roi, ni de conclure entre eux des rapprochemens par coalition ou par mariage. Ainsi, le réseau des 690 États