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cette preuve plusieurs autres pourraient s’ajouter, qui sans doute se produiront à leur heure. Ce que l’on connaît jusqu’ici seulement par échantillon apparaîtra bien plus riche et plus beau, lorsqu’on pourra manier l’étoffe à pleines mains. Et ni la correspondance avec Dumas fils, ni celle avec Rollinat père, ni celle avec Fromentin, ne démentiront sans doute ce que l’on peut attendre d’amitiés aussi grandes, aussi consacrées. Même dans le cercle de la famille moins immédiate, de la demi-famille, si l’on peut s’exprimer ainsi, plus d’une découverte intéressante demeure à faire. Mais, pour nous borner à un exemple sans doute moins attendu, c’est peut-être dans sa correspondance avec un ouvrier, qu’elle ne connaissait pas lorsqu’elle lui écrivit la première, que George Sand a prodigué bénévolement, avec une plénitude qu’elle n’a nulle part égalée, les plus admirables trésors de son âme maternelle et de sa plume fervente. En cet inconnu à qui elle prêtait du génie, elle saluait l’ascension du peuple vers la littérature et l’art. Si elle se fit quelque illusion sur ce point, — et peu importe quant au fond des choses, — elle ne se trompait point en tirant de la foule ce cœur digne du sien, et en l’élevant au privilège d’une intimité qui fut toujours aussi noble que complète. Et tout cela forme un chapitre très attachant, ignoré à peu près, de la vie de George Sand ; et cet épisode lui-même, par sa signification, a une valeur d’histoire qu’il ne faut certes pas surfaire, mais qu’on aurait tort de diminuer. A côté de l’homme, objet de cette correspondance, ou plutôt en lui et à travers lui, il y avait une question. L’homme, lui, s’appelait Charles Poncy, était ouvrier maçon, et habitait Toulon. La question se désignait, alors, sous ce nom : la « littérature prolétaire. »

Peut-il y avoir une littérature des ouvriers ? et les ouvriers sont-ils capables à la rigueur de la faire par eux-mêmes ? Sur le premier point, les esprits libéraux, au lendemain de 1830, répondaient nettement : Oui. Et sur le second, George Sand la première, et à peu près la seule, répondit : Pourquoi pas ? Tout ce débat, conséquence logique d’une première révolution accomplie par le peuple et dont le peuple aurait dû d’abord bénéficier, se rattache à l’idée que les conducteurs d’âmes se faisaient alors du peuple, à la question de l’instruction populaire qui passionnait alors les esprits (loi Guizot, 1833), enfin à la politique elle-même sous le couvert de l’égalité. Tandis que la première loi primaire