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discussion. Le livre de Magu en prit une importance qui l’effara lui-même, et sa personne inspira une énorme curiosité. Béranger recevait le poète ; George Sand accourait le féliciter ; David d’Angers se déplaçait pour briguer l’honneur de faire son médaillon ; cadeaux et souscriptions pleuvaient dans sa chaumière ; 2 000 volumes à 4 francs s’enlevaient en quelques semaines : c’était la gloire, et presque la fortune. Aussitôt Olinde Rodrigues, secondant l’effort de Buchez à l’Atelier et de Vinçard à la Ruche populaire, publiait, en 1841, un recueil des poésies éparses des poètes-travailleurs, sous le titre « un peu prétentieux, mais juste au fond, » dira George Sand, de Poésies sociales des ouvriers. Parmi les noms nouveaux que révélait ce recueil, se trouvait celui du cordonnier Savinien Lapointe. Mais déjà ils sont trop, et notre dessein n’est pas ici de les nombrer.

Ces poésies furent épluchées, et ne pouvaient manquer de l’être par ceux que la manifestation soudaine du génie poétique dans le prolétariat laissait incrédules. Ni Cuvillier-Fleury aux Débats, ni Lerminier à la Revue des Deux Mondes, ne parurent convaincus. Ce dernier donnait quelques bonnes raisons. Il lui paraissait, et à bon droit, que ce qui manquait le plus à ces poésies d’ouvriers, ce fût « le cachet de l’originalité populaire. » Il croyait ces cris de victoire, ces chants de triomphe anticipes. Il ne pensait pas que l’axe de la civilisation intellectuelle pût se déplacer aussi facilement. Il disait, non sans mordant : « Aujourd’hui on se fait écrivain avec une facilité admirable. » Et, voyant Chateaubriand, Béranger, Lamartine, Lamennais, renchérir d’éloges et d’encouragemens, il s apitoyait sur l’ouvrier, qu’il voyait déjà « tomber de son trépied de gloire mal assise. » C’étaient là de sages paroles. Pourtant, il est juste de dire que les coryphées si illustres et si généreux de la littérature prolétaire fêtaient une espérance beaucoup plus qu’un résultat. Et ce qu’il y eut de naïf et de persévérant dans cette espérance qui, aidée des événemens publics, eût sans doute abouti à des résultats appréciables, est précisément ce qui les honore. Tout n’était pas illusion dans ce rêve, et le rêve lui-même avait un point d’appui dans la réalité. En provoquant l’artiste populaire, on forçait le peuple à l’instruction. Et, si l’on peut ainsi dire, en attendant, le moyen passait le but. Aussi George Sand, avec son dévouement inlassable, creusait-elle sans discontinuer son sillon, non plus dans la Revue des Deux Mondes, mais dans cette