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votre mission, et pas plus d’amour pour vous-même que pour le vase où brûle l’encens, l’autel où descend la flamme. Ne cherchez pas votre gloire en ce monde. Ne perdez pas votre temps à écrire à tous ces gens de lettres, à tous ces faiseurs de systèmes plus ou moins étroits. Lisez quelques bons livres, peu et bien ; et puis, allez toujours en avant de ces livres, et cherchez en Dieu qui vous parle tout ce qui manque encore à l’œuvre des hommes.

« Cette lettre de sermons est tout à fait secrète. J’y parle des hommes les plus illustres de notre temps avec un peu de franchise. Il ne serait pas utile, il serait même nuisible à des hommes faibles, de les désenchanter de ces types qui matérialisent à leurs yeux tout ce qui reste de grand sur la terre. Mais vous comprendrez, vous, ma distinction : vous verrez le respect qu’on leur doit, mais le respect plus grand encore qu’on doit à ce qui est au-dessus d’eux, la vérité. Leurs doutes, leurs incertitudes, leurs méfiances, leurs découragemens, n’entament point l’armure de l’immortelle beauté… » (26 janvier 1844.)

Cinq semaines après, le 2 mars 1844, paraissait chez Perrotin le Chantier, avec la copieuse Préface de George Sand. Satisfaction et fierté. « Savez-vous que vous êtes le seul (poète ouvrier) qui puisse trouver un éditeur à Paris, par le temps qui court ? » On ne lit plus de vers. « Tel est le triste état des choses. » Cependant, parmi ceux qui lisent, certains ne sont pas favorables à Poncy. Quelques juges sévères font même des restrictions graves. Qui sait si George Sand elle-même, devant l’ouvrage imprimé, n’en fait pas ? Car dans ce cas, suivant le joli mot de La Bruyère, « l’impression est l’écueil. » Il faut qu’elle ait vu plus clair après coup, — un peu tard, — pour faire au poète un résumé aussi impartialement fidèle desdites critiques :

« Ils trouvent que je suis trop engouée de vos vers, que j’en ai trop dit de bien, et qu’il est à craindre que vous n’en preniez trop de confiance en vous-même. Ils disent que vous avez énormément de talent, et pas encore de véritable génie. Ils vous admirent en tant qu’ouvrier poète et enfant poète : mais ils ajoutent que pour être vraiment un grand poète il faut avoir plus vécu, plus senti, plus appris, plus médité, plus souffert des maux généraux que vous n’avez pu encore le faire. Ils demandent que vous ne vous pressiez pas de faire d’autres vers, que vous laissiez mûrir en vous de mâles et fortes pensées, que vous viviez à fond avec les hommes, avec l’humanité abstraite et