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s’en vit subitement abandonnée. L’émotion fut profonde à Nohant, et le contre-coup en atteignit Maurice lui-même. Peu après, heureusement, Augustine fut fiancée à M. de Bertholdi ; George Sand la dota. Le mariage de Solange avait fortement entamé ses finances, celui d’Augustine les épuisa. Poncy, invité sur ces entrefaites, dut rebrousser chemin sur un contre-ordre arrivé trop tard. Il se plaignit. George Sand s’excuse, en lui faisant le bilan de cette triste année :

« Avec toi, comme avec presque tout, cette année, je joue de malheur ; car ce chagrin (la rupture du mariage d’Augustine) n’a pas été le seul, et ta lettre d’aujourd’hui a été la dernière goutte dans cette coupe d’amertume que je savoure. Il semble que tout ce que j’aime doive souffrir à cause de moi, ou que j’aie perdu l’étoile qui me faisait les guider vers le succès. Ce n’est pas faute de les chérir, mon Dieu ! et d’offrir à la destinée ma vie et mon âme pour eux, pour toi comme pour mes enfans, mon cher poète !… — Nous y avons tous passé. En sortirons-nous ? mes enfans, vous voyez ! Plaignez-moi un peu, et aimez-moi beaucoup : j’en ai grand besoin ! » (15 juin 1847.)

Même note, deux mois après, tant la crise fut longue, aiguë. Elle récapitule ses tristesses récentes, et insiste sur l’attitude de Solange vis-à-vis d’elle : « Le mal l’a emporté dans une âme dont j’aurais voulu faire le sanctuaire et le foyer du beau et du bien.

« A présent, je lutte contre moi-même pour ne pas me laisser mourir[1]. » (9 août 1847.)

Elle lutte de toute la force morale de son viril courage ; elle lutte par le travail aussi, son spécifique souverain. Non qu’elle puisse en ce sens aller aussi loin que Montesquieu, qui écrit : « L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ! » Mais la passion du travail, qu’elle a toujours pu satisfaire au sein des pires épreuves, lui est un cordial puissant. Malgré tant de traverses, elle écrit en 1846 : la Mare au Diable, les Noces de Campagne et Lucrezia Floriani ; le charmant Piccinino, le tendre François le Champi, se composent et se « brodent, » en quelque sorte, parmi les désespoirs de l’année 1847, et elle entame l’Histoire de ma vie. Poncy, désormais spectateur intime,

  1. Corresp., t. II, p. 372.