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fameuse tabatière de Saxe garnie d’or que Fréron tenait de Piron.

Ces laquais, de qui les fonctions n’étaient souvent que décoratives, passaient des heures entières dans les antichambres avec les domestiques d’autres personnages. Quelles longues causeries et, soit dit en passant, quelle favorable occasion à s’approvisionner de nouvelles ! Le valet de chambre est attaché à la personne du maître et pénètre dans son intimité. Il emploie ses loisirs à lire des romans, les livres nouveaux. La comédie de château était florissante. Lafleur et Manette jouent les rôles de Froutin et de Lisette, ou d’Annette et de Lubin, dans les pièces où Monsieur, Madame et Mademoiselle jouent les Léandre, les Clorinde et les Phylis.

Au reste, Frontin est souvent plus instruit que Léandre, Figaro est plus lettré que le comte Almaviva. Dans les Précieuses ridicules, les personnages du marquis de Mascarille et du vicomte de Jodelet sont poussés à la charge, mais est-il bien certain que les jeunes muscadins, leurs maîtres, eussent été capables de tenir leurs rôles ? Une parade du xviir2 siècle met en scène un de ces petits-maîtres qui veut prendre un valet : « Un jeune gentilhomme, dit-il, ne peut décrotter ses souliers tout seul, et surtout, quand il veut envoyer une lettre à un ami, il faut bien avoir quelqu’un pour l’écrire. »

Gourville dictait ses Mémoires à ses domestiques. « Le plus ancien d’entre eux, dit-il, se nomme Belle ville. Il est avec moi depuis trente-deux ans. Il est devenu fameux nouvelliste, fort accrédité dans l’assemblée du Luxembourg. » Gourville était très mal avec La Bruyère, qui s’en prend à Belleville : « Le devoir des nouvellistes est de dire : « Il y a tel livre qui court et qui est imprimé chez Cramoisy ou chez Michallet, en tels caractères ; il est bien relié et en beau papier ; il se vend tant. » Il doit savoir jusques à l’enseigne du libraire qui le débite. Sa folie est de vouloir en faire la critique. » Mais Belleville faisait la critique des Caractères.

Il avait suivi son maître dans ses voyages et ambassades ; et souvent avec lui, tout en lui accommodant sa perruque, il s’était entretenu des secrets du Cabinet. De là des connaissances spéciales qui l’avaient mis en valeur parmi les « pelotons » du Luxembourg. Voltaire estimait que les Mémoires de Dangeau n’étaient pas du marquis, mais un recueil de nouvelles écrites par un de ses