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du jugement qu’il brillera plutôt que par une imagination que ne fécondent ni les grands drames de l’histoire ni les grands spectacles de la nature. « Notre poésie, dit un Danois, doit sa force à la finesse de ton de son lyrisme, mais le drame grandiose dépasse notre puissance ; notre musique est riche en sentimens, mais elle n’est ni impétueuse ni sauvage ;… nos savans sont infatigables, mais ils ne bouleversent pas le monde. Nous connaissons nos bornes, et qui cherche à les forcer s’en tire rarement avec avantage[1]. » Adam de Bremen avait déjà signalé l’empire du Danois sur ses sentimens comme un trait caractéristique de la race, et faisait ressortir le contraste frappant qui sépare, en matière sentimentale, la « retenue » danoise de la « superlativité » germanique. L’enthousiasme, l’impétuosité effraient ; on redoute ce qui est puissant et violent, on jalouse ce qui saille ou domine : c’est un peu l’effet de la petitesse du pays et des difficultés de son existence politique et économique… Dans la vie privée, chacun préférera, aux vastes poursuites d’avenir, la sécurité dans la médiocrité. Habile, circonspect, volontiers opportuniste, le Danus astutus des vieux auteurs joint à son bon sens un sens pratique de premier ordre, mais il déploie en toutes choses plus de ténacité que de témérité, plus d’industrie que d’ambition ; son caractère le porte à la défensive plutôt qu’à l’offensive ; il est, par nature, conservateur. L’histoire danoise a comporté peu de révolutions ; le socialisme danois ne fraie pas avec l’anarchie, et rien n’égale le calme avec lequel les travailleurs danois ont dirigé et supporté leurs grandes luttes ouvrières de la fin du XIXe siècle.

« Un peuple qui a assez à faire de s’endiguer contre la mer et de protéger ses champs contre les sables mouvans, voilà le Danois[2] : » il a les qualités qu’il faut pour cette œuvre, et laisse à d’autres les rêves de grandeur et les châteaux en Espagne.


II

Ce n’est pas qu’en d’autres temps il ne se soit laissé tenter par l’ambition d’un rôle à jouer dans le monde, mais la fortune refréna cruellement ses ardeurs aventureuses au cours de ces

  1. Le Danemark, p. LXI. — Cf. p. II.
  2. Ibid., p. LXV.