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des expériences accumulées par les générations passées, l’avenir des générations futures. » Grundtvig ne cherchait pas à remplir d’un vain savoir les têtes paysannes, mais à « éveiller » les esprits (rappelez-vous la « maïeutique » de Socrate), à développer dans l’âme de chacun l’imagination et le jugement en même temps que la conscience et l’effort : le caractère national étant un peu étroit et terre à terre, il voulait fortifier à la fois « le cœur, l’esprit et la volonté. » Donc, point d’enseignement pratique ou technique, en vue d’un but utilitaire (notez que c’est exactement l’opposé de notre enseignement professionnel ou primaire supérieur) ; c’est en cultivant les caractères, en faisant « de ces jeunes hommes et de ces jeunes filles d’honnêtes et fidèles Danois, » qu’on les préparera le mieux à la lutte pour la vie. L’essentiel n’est-il pas de former, selon l’expression du poète Frederik Paludan Müller, « une génération d’hommes au cœur ferme et de femmes fortes et pieuses ? »

La première école supérieure populaire fut créée en 1844, sous les auspices de Grundtvig, sur contributions privées, à Rœdding, dans le Slesvig, par Christian Flor, professeur à l’Université de Kiel, qui abandonna à cet effet sa chaire officielle ; peu d’années après, on vit surgir, en Jutland, les écoles d’Uldum (1848) et d’Oddensée (1851), et, en Sélande, celle de Hindholm (1852). Les débuts furent des plus pénibles. L’argent manquait. Mais les critiques abondaient. La « Haute Eglise » accusait Grundtvig d’ébranler l’ordre social. Les esprits « supérieurs » raillaient l’idée de faire goûter les vieilles Sagas aux oreilles populaires. Les gens « pratiques » blâmaient cette « folie » d’enseigner à des paysans à se cultiver eux-mêmes au lieu de leur apprendre à mieux cultiver leur lopin de terre. Notons qu’aujourd’hui encore il est de mode, dans certains milieux « intellectuels » avancés du Danemark, de blâmer le caractère « nationaliste » de l’enseignement dans les Folkehœjskoler, l’abus qui y est fait du sentiment patriotique, l’orgueil développé par un étroit amour du pays… : nous-même avons surpris un jour avec tristesse ce reproche sortant des lèvres de l’éminent critique danois, M. Georg Brandès. Quoi qu’il en soit, le succès eut raison des objections, et, à partir de 1865, le nombre des écoles grundtvigiennes s’accrut avec rapidité. Il y en a actuellement près de 80, réparties sur tout le territoire, avec plus de 6 000 élèves ; on calcule que 10 pour 100 de la population totale passe effectivement