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de vieux airs nationaux ou patriotiques, et qu’un profond sentiment religieux pénètre l’enseignement tout entier : nous aurons ainsi un aperçu du fonctionnement de l’école Grundtvig.

Faut-il insister maintenant sur les différences fondamentales qui séparent l’école supérieure paysanne du Danemark de cette autre institution qu’on a pu essayer de lui comparer, l’université populaire, telle qu’elle existe en France ? D’un côté, un enseignement systématique, portant sur des matières fondamentales, les plus aptes à former les esprits et à élever les cœurs ; de l’autre, une succession d’aperçus rapides sur des questions disparates et dépassant le plus souvent la mentalité des assistans. Ici, un corps de doctrines homogènes, un esprit commun, et une culture des âmes en même temps que des intelligences ; là, un kaléidoscope littéraire ou scientifique, qui éblouit sans éclairer. Ici encore, un groupe d’étudians vivant au contact et sous l’influence de maîtres de carrière ; là, un personnel de conférenciers amateurs et d’auditeurs de passage. Si l’école Grundtvig a réussi, c’est qu’elle ne prétend pas donner à des « primaires » un enseignement « supérieur, » c’est qu’elle ne cherche pas à amuser au risque de griser des cerveaux sans culture, mais qu’elle s’efforce et qu’elle parvient à faire, ou à compléter, au vrai sens du mot, des « éducations. » Et c’est pourquoi, — résultat essentiel entre tous, — elle ne fait pas de déclassés : la session finie, le paysan retournera au champ, l’artisan à l’atelier, sans regret ni dépaysement, mais il y retournera l’âme fortifiée, l’esprit élargi, mieux armé pour la lutte et la vie. Il gardera toujours, pour son « école, » affection et reconnaissance. « Emmanuel, — on nous permettra de citer ici ce passage d’une nouvelle de Pontoppidan, — comprenait maintenant ce qui faisait briller les yeux des jeunes gens quand on leur parlait de l’école de Sandinge. Il était frappé de tout ce qu’il avait vu comme d’un rêve : ces jolies maisons de brique rouge, couvertes de lierre et de chèvrefeuille ; la grande salle de cours, du vieux style norvégien, avec sa voûte de bois et ses solives à têtes sculptées ; les élèves, ces quatre-vingts jeunes filles aux fraîches joues colorées ; cet enseignement si singulier, fait de leçons, de lectures, de conversations et de chants ; et puis ces réunions du soir où tout le monde se presse, la journée finie, les paysans en blouses et les ouvriers en manches de chemise : du premier coup, tout l’avait enchanté… »