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de prendre une décision nette, et le Pontife se résout à laisser à peu près à son légat la liberté de s’inspirer des circonstances qui pourront se produire d’ici à son entrevue avec le Roi. Usait qu’en lui confiant cette cause, c’est la sienne propre que défendra le cardinal, car personne, plus que lui, n’a intérêt à la politique aragonaise : François Piccolomini, cardinal archevêque de Sienne, neveu du pape Pie II, est allié à la maison de Naples, par son frère Antoine, duc d’Amalfi, qui a épousé une sœur d’Alphonse, le roi actuel ; et son autre frère, André, est à Sienne l’âme de la résistance à l’influence française.

Malgré tout, le Pape veut se rattacher encore à l’espoir d’un soulèvement général de l’Italie contre le Très-Chrétien : à Florence, Piero de Médicis tiendra sa parole et s’opposera à la marche de l’ennemi ; le Pape sait bien que ce peuple de marchands, en relations commerciales avec la France, ne voudrait pas perdre ses lucratifs avantages en mécontentant le Roi ; et qu’à Florence, le plus dangereux adversaire est ce moine ferrarais dont les sermons entraînent toute la ville contre Piero, ce Fra Girolamo Savonarole qui ose élever la voix contre le Saint-Père lui-même et ses cardinaux.

Mais le « Magnifique Piero » peut beaucoup pour le salut de l’Italie, et le cardinal, en passant à Florence, le réconfortera dans son attitude en lui montrant l’armée du duc de Calabre toute prête à le soutenir contre l’ennemi commun.

Le cardinal ira d’abord à Sienne, et le Pape connaît sa grande influence sur cette République : à quelque parti, à quelque « mont » qu’ils soient inscrits, les turbulens citoyens de Sienne aiment tous leur archevêque, qui, depuis longtemps, dans tous les troubles, dans les émeutes les plus sanglantes, est allé lui-même calmer les passions, empêcher les meurtres politiques, et tâcher de pacifier cette remuante cité. Sienne ne s’est pas encore prononcée, un mot suffit, peut-être, pour la tourner contre le Roi de France, la décider à refuser à l’armée le passage et les vivres demandés instamment par les ambassadeurs français, — ce mot, le cardinal le prononcera, ne serait-ce qu’à voix basse.

Et il y a encore le Bentivoglio, à Bologne, qui se réserve, attendant, lui aussi, les événemens ; celui-là, le cardinal ira le trouver, et le Pape lui enverra, en route, les instructions nécessaires à ce sujet… Il y a aussi la dame de Forli[1]

  1. Catherine Sforza, veuve de Jérôme Riario, dame souveraine de Forli et d’Imola.