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souillait le trône apostolique, ce marran, ce juif ! Le Roi de France n’avait pas à traiter avec lui, car il serait dupé, s’il se laissait aller à l’entendre ; le Borgia n’avait jamais su que mentir et tromper tout le monde ; et il n’y avait, une fois à Rome, qu’à réunir un concile général pour déposer ce simoniaque et élire un autre Pape !…

La figure glabre, osseuse, toute en creux et en saillies, du cardinal de la Rovère, devenait terrible, pendant qu’il parlait de son ennemi, et, sous les arcades proéminentes de ses sourcils, ses yeux semblaient foudroyer le Pontife absent.

Quant au cardinal de Sienne, — continuait-il, — c’était un Aragonais ! le Pape l’avait sûrement envoyé à l’instigation du roi de Naples qui était son parent ! tous ces Piccolomini ! ces « Pientins »[1]étaient les pires ennemis du parti français, neveux adoptés par Pie II, celui-là même qui avait donné aux Aragonais l’investiture du royaume de Naples ; il ne fallait pas le recevoir, cet ambassadeur, car il avait certainement une mission secrète contre le Roi, et le Pape ne l’avait pas désigné sans arrière-pensée !…

Influencé par l’énergique apostrophe de Julien de la Rovère, le Roi avait donné ordre de congédier le messager.

Pendant ce temps, le cardinal Francesco Piccolomini, logé à Lucques au palais de l’archevêché, s’impatientait de n’avoir pas de réponse ; la réussite de sa mission lui semblait désormais bien incertaine ; il commençait à craindre un échec et se désespérait du discrédit que cela allait causer à son influence ; les rêves ambitieux s’envolaient de son esprit, et il écrivait au Pape les lettres suivantes :


VI. — LETTRES DU CARDINAL

Lucques, 5 novembre 1494[2].

Beatissime Pater post pedum oscula beatorum humilem commendationem

« J’ai écrit à Votre Sainteté que j’avais adressé mon secrétaire au Roi Très-Chrétien, disant que j’attendais Son bon plaisir pour me rendre à l’endroit qu’il voudrait bien me fixer. Aujourd’hui, mon messager n’est pas encore de retour, et je me suis

  1. « Gens de Pienza » et « neveux de Pie. »
  2. Cette lettre est la troisième en date, dans la collection Podocataro.