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ceau, comme à la fin et dans le calme d’un beau jour, avait fait à son auditoire quelques confidences sur son état d’âme. Il avait pris, disait-il, le pouvoir sans l’avoir demandé, ni désiré, voulant consacrer à la démocratie, à la République, à la France, les dernières années de sa vie. Il s’était « donné » avec désintéressement, et avait pris pour tâche de faire l’éducation du peuple. Tout en instruisant le peuple, M. Clemenceau s’instruisait lui-même, et s’apercevait qu’il était plus difficile qu’il ne l’avait imaginé de gouverner les hommes. M. Clemenceau s’est demandé alors s’il n’avait pas été injuste pour quelques-uns de ses prédécesseurs, ou même pour tous, car il n’avait guère ménagé ceux-ci plus que ceux-là. Que voulez-vous ? Il ne savait pas, il n’avait pas encore fait son apprentissage, il n’avait pas été à la rude besogne dont la charge lui incombait maintenant. Dans ce retour sur lui-même, il n’y avait probablement pas une grande dose de contrition ; mais enfin, les confidences faites à la Chambre n’étaient pas exemptes de quelque mélancolie qui les rendait intéressantes. Il semblait que M. Clemenceau, sentant bien qu’il n’échapperait pas au sort commun et qu’il tomberait un jour lui aussi, voulait assurer à sa mémoire ministérielle un peu de cette équité rétrospective qu’il avait longtemps refusée aux autres et qu’il leur accordait sur le tard. Mais, certes, lorsqu’il tenait ce langage, si nouveau dans sa bouche, il ne se doutait pas qu’il fût tout près de sa fin, et ce n’étaient pas des adieux qu’il croyait faire à la Chambre. Loin de là ! il lui demandait sa confiance pour la conduire à la prochaine campagne, à la prochaine victoire électorale, et le contrat était signé, la confiance était accordée. A dater de ce jour on a regardé la session comme close, et un grand nombre de parlementaires ont quitté Paris pour se rendre dans leurs circonscriptions. Ce n’était pas la discussion sur la marine qui aurait pu les retenir à Paris.

Cependant, avant de partir, ils ont donné au pays un triste spectacle, bien peu propre, quoi qu’ils en aient pensé, à leur ramener l’opinion qui s’éloigne d’eux de plus en plus. Une préoccupation continue de les ronger, celle des 15 000 francs qu’ils se sont adjugés par un tour de passe-passe dont le pays a été révolté. L’impression a été si vive qu’elle dure encore. Elle jouera certainement un rôle aux élections de 1910, d’autant plus que ces députés, qui se sont montrés si âpres au gain, sont accusés de remplir leurs fonctions avec une négligence toute cavalière et que, même au cours des discussions les plus importantes, même au moment des votes les plus graves, les bancs de la Chambre sont déserts. Contre ce mal, un député de la