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— Vous voyez ! me dit le Frère, on ne s’ennuie pas trop chez nous !… Mais venez, que je vous montre la maison !

Je n’en demandais pas tant ! J’avoue même que cela m’ennuyait un peu. Car cette tournée du propriétaire ne pouvait rien m’apprendre : j’en prévoyais avec précision les moindres incidens et les plus infimes détails. J’acceptai néanmoins, par politesse… Et nous voilà déambulante travers les salles d’études, les classes vides. Nous tombons même, par hasard, dans une classe où le professeur fait une leçon de géométrie. Nous rebroussons chemin vers les réfectoires, — très propres, très aérés, exempts de ces odeurs invétérées de mangeailles, qui, au lycée Henri IV, nous poursuivaient jusque dans la cour d’honneur. Et puis, nous montons un étage, deux étages, — et ce sont les chambres des Frères, les dortoirs des élèves, qui ressemblent à tous les dortoirs possibles. Le directeur me fait remarquer les larges baies des fenêtres pour la ventilation, les rideaux et les stores qui protègent contre le soleil :

— Rien n’a été omis pour l’hygiène ! me dit-il, avec insistance.

Cette constatation me laisse à peu près indifférent. Un collège est toujours un collège, quoi qu’on fasse pour en adoucir l’horreur. On aura beau en expulser les miasmes, ces agglomérations d’enfans ne seront jamais bien saines. Je frémis, en songeant à ce que doit être un tel séjour, au Caire, par les chaleurs suffocantes de l’été.

— C’est épouvantable ! me dit le Frère. Aussi ne peut-on trop demander à nos élèves, qui en sont souvent accablés… Nous-mêmes nous souffrons cruellement. Certains de nos professeurs ne peuvent résister au climat : il faut les renvoyer en France !… Mais, nous avons la terrasse !

Sur ces mots prononcés avec une bonhomie naïve, il m’entraîne vers les combles. Nous grimpons une espèce d’échelle, qui aboutit à un trou carré, découpé dans la charpente… Alors, un spectacle merveilleux surgit tout à coup ! un spectacle, devant lequel s’éclipsent instantanément les visions de dortoirs et de réfectoires que je viens de traverser !… Le Caire est là, étalé sous mes pieds, avec ses minarets et ses coupoles de mosquées, avec ses faubourgs aux maisons peintes, éclatantes de carmin, de bleu-turquoise, de jaune d’or. Derrière moi, déferlent les dunes arides du Mokattam et de la vallée des Khalifes ;