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et vingt autres professeurs, dans leurs cours ou dans leurs manuels, avaient établi la thèse contraire. La mienne fut donc tenue pour hérétique, et elle le sera jusqu’à refonte complète desdits manuels ou renouvellement des cadres sorboniques.

Ce dogmatisme routinier, cet attachement à l’opinion régnante ou à la lettre des théories consacrées n’empêchent pas les mêmes gens de dénoncer à grands cris le verbalisme des congréganistes. Ceux-ci, s’en vont-ils répétant, ont horreur des réalités ! Nul contact direct avec la vie, la littérature ou l’art ! Ainsi, pour l’étude d’un écrivain, ils se contentent de mémentos, de jugemens tout faits ! Eh quoi ! ne voyez-vous pas que vous instruisez vous-même votre procès ? L’Université, elle aussi, se dispense d’abreuver ses nourrissons aux sources vives ! Elle n’a pas le temps, voilà la vérité ! Elle n’a pas le temps, parce que ses programmes sont trop chargés, et ses programmes sont trop chargés parce qu’il faut bien vendre les éditions de messieurs Tels et Tels qui en encombrent le marché. Il y a aussi d’autres raisons. J’ai connu un professeur de lycée qui, tous les ans, faisait traduire à ses élèves trente vers de Sophocle, trente vers sans plus, et toujours les mêmes ! Il avait remarqué que leur examinateur, professeur d’anglais de son état, ne poussait jamais ses interrogations en dehors du périmètre de ces trente vers. Les candidats, par ses soins, y étaient ferrés à glace. C’était là ce qu’il appelait expliquer Sophocle. Mais, en revanche, il obtenait, chaque année, des succès éclatans au baccalauréat et il était très bien noté. Comment blâmer de tels procédés, quand on réfléchit qu’il est impossible à un fonctionnaire soucieux de son avancement de ne s’y point plier ? J’en appelle à quiconque a préparé des examens universitaires, baccalauréats, licences ou agrégations. Etudier un auteur en lui-même et pour lui-même vous est interdit. Il faut d’abord dévorer l’effroyable charretée de gloses entassées autour de lui par les professeurs et critiques du cru. Quand on arrive enfin à l’œuvre, il est trop tard pour s’en occuper. On n’a que le temps de passer à un autre article du programme et de recommencer le dépouillement des cahiers de cours et des manuels[1].

Le manuel, la leçon écrite, en d’autres termes, le

  1. Tout a été dit sur cette question par M. Abel Faure, dans son courageux livre : l’Individu et les diplômes (Stock, éditeur). C’est la critique la plus vigoureuse et la plus pénétrante que je connaisse, de la pédagogie universitaire.