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pas le moindre bachelier à faire de la littérature. Le pullulement des écrivailleurs vient de l’abus de la critique littéraire sur les bancs du collège, — du culte exclusif qu’on y voue à l’écrivain. Du haut en bas de l’échelle, depuis la Sorbonne jusqu’au dernier collège de jeunes filles, nos professeurs semblent ne s’occuper qu’à fabriquer des gendelettres.

Et puis enfin, il y a la grande affaire de l’éducation. Tout le monde sait que, si l’Université instruit, elle n’élève pas. Or la vieille éducation française, quelles qu’en soient les lacunes, est encore préférable à tout le fatras pédagogique d’aujourd’hui. La civilisation n’est ni une question de science, ni une question d’application scientifique. Le téléphone et les automobiles ne sont point des adjuvans contre la barbarie, et il est certain que la politesse cléricale d’un bon Frère civilise davantage, même les prétendus civilisés, que tout le fourniment de nos manuels d’instruction civique.

Le dernier argument des sectaires, c’est la haine contre la France, qu’ils attribuent à nos religieux d’Orient. Entendez bien qu’il s’agit, dans leur pensée, de la France révolutionnaire et persécutrice ! Cette France-là, les congréganistes peuvent lui pardonner chrétiennement, mais comment l’aimeraient-ils, eux qui en sont les parias et les exilés ? Comment oublieraient-ils pour elle la grande France glorieuse d’autrefois ? D’ailleurs, ces distinctions entre le présent et le passé, familières à nos esprits, sont, la plupart du temps, lettre close pour les Orientaux. Il faut être vraiment de son quartier Latin pour s’imaginer qu’elles ont une importance en dehors de nos frontières. Là-bas, on aime la France, sans phrases, — et il n’y a pas deux façons de l’aimer. Qu’on me permette, à ce propos, un souvenir personnel, celui d’une des émotions les plus profondes de mon voyage.

C’était dans une bourgade du Liban, où les Sœurs de Saint-Vincent de Paul possèdent un orphelinat. Je me présente à la grille de la maison, et je demande à saluer la supérieure. Dans le parloir, où je l’attends, je vois s’avancer une petite vieille ratatinée, à la bouche édentée et molle, qui fait une bouillie des mots. Pourtant, si mal qu’elle articule, il me semble reconnaître, dans ses phrases, l’accent messin :

— Est-ce que vous êtes de Metz, ma sœur ? lui demandai-je.

— Mais oui ! Vous aussi, sans doute ?…

De quel ton elle a dit cela ! Toutes les rides de sa figure se