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besoin d’aller de l’avant et de braver la bataille de la vie ; sir Galahad est la pureté virile comme la nonne de Saint Agnès Eve est la virginale pureté. Œnone est la femme abandonnée qui évoque sa disgrâce, maudit sa rivale et se lamente avec fureur sur sa propre destinée. Ce ne sont point tant des caractères particuliers, comme chez Browning, que des types généraux considérés précisément dans ce qu’ils ont d’universel. Ils sont moins destinés à intéresser notre curiosité qu’à éveiller notre émotion. Robert Browning est infiniment plus précis, plus riche, plus divers. Il dresse devant nous un milieu, une époque, une profession ; il détaille ses analyses et pousse ses peintures ; il y a en lui un psychologue, un historien, un érudit même, et un artiste. Tennyson est tout simplement un poète, un poète à qui rien d’humain n’est étranger, mais qui ne cherche dans l’humanité ni l’exceptionnel, ni l’étrange, et qui s’attache de préférence aux figures où elle se reconnaîtra.

Car il faut qu’elle se reconnaisse et que cette image lui inspire le respect de soi-même, le sens de sa destinée, le désir de réaliser l’équilibre des différens pouvoirs et la plénitude harmonieuse où se déploie la vie « quand l’esprit et l’âme, en parfait accord, — Font entendre leur musique ordinaire — Mais élargie. » C’est à cette inspiration qu’il convient de rattacher les poèmes d’amour de Tennyson. Taine, l’opposant à Musset, dénie toute intensité de passion, toute ardeur de sentiment au noble et calme poète anglais, qu’il voit toujours maître de lui et indifférent à tous ceux qui ne sont pas maîtres d’eux-mêmes. Il serait bien tenté de classer cette partie de son œuvre parmi les produits du puritanisme et des convenances sociales, d’y voir d’excellente littérature « victorienne, » bien faite pour la respectable « veuve de Windsor » et ses fidèles sujets, un chant à la louange des affections honnêtes, des longues fiançailles et des chastes fidélités. Sans doute, il y a de cela dans l’œuvre de Tennyson, et il ne serait pas, sans cette inspiration, le grand poète anglais qui eut la rare fortune de parler pour toute sa race pendant un demi-siècle. Ce n’est pas une raison pour oublier que Maud est un des plus ardens et, par endroits, un des plus enivrans poèmes d’amour de la littérature moderne, et que l’anathème de Locksley Hall, dans sa violence brutale, n’a jamais été dépassé. Indiquons seulement, — mais indiquons du moins, — ces deux notes extrêmes, Maud et le jeune homme qu’elle